Critique de la réforme de la Santé au travail : autoflagellation injustifiée ou auto-thérapie salvatrice ?

On a pu lire tout récemment, dans un éditorial largement relayé sur Internet, qu’il faudrait cesser de nous « auto-flageller » puisque la loi existe : elle a été votée, elle n’a pas été remise en cause et elle est applicable depuis le 1er juillet ; qui plus est, le Ministère en fera une évaluation pour 2014.

Tout cela est exact, comme il est exact que la Santé au travail est placée sous l’autorité du Ministère du travail et qu’elle est gérée par les Partenaires sociaux.

Cela justifie-t-il pour autant, comme le laisse entendre l’éditorial en question, qu’il faille désormais circuler parce qu’il n’y a plus rien à voir ?

Rien n’est moins sûr aux yeux de nombreux spécialistes de la Santé au travail venant d’horizons très différents.

Il est faux en effet de prétendre que la réforme serait « le résultat d’un consensus politique, droite-gauche, et d’un consensus social, employeur-salarié ».

S’agissant du prétendu « consensus politique », il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter aux débats qui ont précédé le vote de la loi, à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne « respiraient pas le consensus ». Ils ont révélé au contraire une fracture profonde entre Droite et Gauche (sauf évidemment si les propos tenus l’ont été « pour de faux », comme on disait autrefois dans les cours de récréation !), au point qu’Alain Vidalies, alors porte-parole du Parti Socialiste dans les débats à l’Assemblée Nationale, qu’on présentait comme promis au poste de Ministre du Travail, mais qui, en fait, est devenu Ministre chargé des relations avec le Parlement, avait évoqué publiquement, à plusieurs reprises, et sans que ses propos souffrent de la moindre ambiguïté, la remise en cause de la loi en cas de victoire de la Gauche aux élections du printemps…

On sait ce qu’il en a été dans la réalité.

S’agissant du prétendu « consensus social », il suffit de relire les positions des Organisations syndicales, d’abord unanimement hostiles au projet patronal ayant servi de base à la première loi, finalement retoquée par le Conseil Constitutionnel, puis majoritairement opposées (3 syndicats sur 5) à la nouvelle loi et à ses décrets d’application…

La vérité est que la loi a effectivement été votée par une majorité de Députés et de Sénateurs, qui ont suivi sans barguigner les consignes de vote qui leur avaient été données, lesquelles reposaient pour l’essentiel sur un travail préparatoire réalisé en coulisse, en « off » comme on dit (c’est-à-dire en dehors du cadre parlementaire), par un groupe restreint composé de représentants du Parti politique alors au pouvoir, des Organisations patronales, de deux Organisations syndicales et du Cabinet de Xavier Bertrand, soit moins de dix personnes au total !

Si consensus il y a eu, c’est uniquement entre les membres de ce « mini groupe de réflexion », dont le lobbying a été particulièrement efficace. Le rôle de l’Assemblée Nationale et du Sénat s’est donc limité de facto à celui de Chambres d’enregistrement…

Que, parvenus au Pouvoir, plusieurs des Partis de gauche aient oublié leur combat contre le projet de loi et leurs engagements publics au point que Michel Sapin, devenu Ministre du Travail, en soit venu à trouver des vertus à un texte que ses amis et lui-même vilipendaient quelques mois plus tôt, est une autre histoire et ne rend nullement consensuels des débats qui ne l’ont jamais été…

Alors, oui, la loi est bel et bien là mais les conditions dans lesquelles elle a été votée n’ont rien d’un consensus. Souligner ce simple constat n’est synonyme ni d’autoflagellation ni d’activisme anti-réforme : cela signifie simplement que, tout en demeurant parfaitement légaliste, on peut, on doit conserver sa lucidité et son sens critique, refuser la méthode Coué et ne pas considérer comme vraies des affirmations auxquelles un examen attentif des faits permet de restituer leur véritable statut, qui est celui de grossières contre-vérités.

N’en déplaise aux défenseurs inconditionnels de la loi du 20 juillet 2011, celle-ci a été bâclée, et, en dépit d’avancées incontestables sur certains points, elle souffre de multiples défauts et lacunes. Ce n’est pas en faisant comme si elle était réussie qu’elle le deviendra, bien au contraire.

L’avenir de la Santé au travail ne justifie-t-il pas que l’on continue à s’interroger sur la réforme en cours, ce qui n’est nullement incompatible avec une application responsable des textes, loi et décrets d’application ?

C’est en tout cas le message que je m’efforce de porter chaque fois que l’on fait appel à moi pour une intervention relative à la réforme de la Santé au travail, que ce soit auprès des Conseils d’Administration, des Commissions de contrôle ou des Personnels des Services.

La « critique » de la réforme de la Santé au travail, dans la mesure évidemment où elle est constructive et s’accompagne d’encouragements et de conseils aux « gens de terrain » pour qu’ils répondent le plus concrètement possible aux besoins des Entreprises et des Salariés, n’est pas une autoflagellation injustifiée mais bel et bien une forme d’auto-thérapie salvatrice.

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE janvier 2013

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4 Comments

Henri

Hello !

« L’avenir de la Santé au travail ne justifie-t-il pas que l’on continue à s’interroger sur la réforme en cours, ce qui n’est nullement incompatible avec une application responsable des textes, loi et décrets d’application ? »

Peut-être, mais epHYGIE ressasse encore et toujours la même réforme en question comme si elle était en projet, au lieu de passer à son application car ce n’est plus un projet…

Bye.

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g.paillereau

Le fait de parler d’une mauvaise réforme n’interdit pas de « passer à son application » : c’est ce que je fais quotidiennement avec les Services de Santé au travail, qui sont de plus en plus nombreux à me demander de les accompagner dans sa mise en oeuvre.

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Michel Blaizot

L’auteur de cet éditorial ayant été, de notoriété publique, l’un des experts les plus consultés et sans doute, écoutés par les décideurs politiques et sociaux, se sentirait-il « flagellé » par les quelques critiques de la réforme qui fusent ici ou là ? Il aurait tort, sa personne et sa compétence n’étant nullement en cause.
Y aurait-il consensus politique et social sur le sujet (ce qui en effet n’est pas démontré) que, pour autant, il serait malsain que cherche à s’imposer une pensée unique « politiquement correcte ».
C’est au contraire dans la lucidité et dans la confrontation des points de vue que pourra être recherchée la meilleure façon d’appliquer cette réforme contestable… en attendant la prochaine

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g.paillereau

Une fois de plus, je partage entièrement le point de vue de Michel. Ce n’est pas parce qu’on nous serine que la réforme est bonne et que, puisqu’elle a été adoptée, nous devons nous incliner, que nous sommes obligés d’obtempérer. Comme je l’ai déjà écrit dans un précédent article, fort heureusement, nous ne sommes pas tous des lemmings…

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