Santé au travail, Conditions de travail, Qualité de vie au travail : le point de vue de Michel Sapin

Dans le numéro 346 de la revue Travail et Changement – Spécial Régions, Michel Sapin s’exprime sur les suites de la Conférence sociale de juillet, qui a abordé, entre autres, le thème de la qualité de vie au travail :

« Temps fort » selon lui, cette Conférence « a permis d’échanger sur les grands enjeux économiques et sociaux auxquels est confronté notre pays et d’illustrer ce qu’est le dialogue social à la française ».

Parmi les thèmes abordés, celui de la qualité de vie au travail, à propos duquel il dit « avoir voulu remettre le sujet du travail au centre des préoccupations, sans toutefois l’aborder systématiquement du côté de la souffrance ou de la dégradation de la santé ».

Une approche « positive » qu’on peut admettre dans le contexte de crise que nous connaissons mais qui semble faire trop peu de cas de la souffrance au travail et des atteintes à la santé, qui sont pourtant bien réelles.

Il considère par ailleurs que « c’est une thématique très large et très ouverte puisque les partenaires sociaux négocient actuellement sur le sujet. Les débats de la table ronde sur la qualité de vie au travail ont porté sur deux grands sujets : l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et les conditions de travail. »

Soit dit en passant, quand on regarde avec attention le compte rendu des débats, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a largement pris le pas sur les conditions de travail, presque totalement éludées. Le fait que l’animation du thème ait été confiée à Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des Femmes dans le Gouvernement dirigé par Jean-Marc Ayrault, n’est sans doute pas étranger à cette « dérive » (ce qui ne signifie évidemment pas à nos yeux que le thème de l’égalité Hommes/Femmes ne soit pas important lui aussi).

Le tableau comparatif des deux versions du projet de texte examiné par les Partenaires sociaux, mis en ligne sur notre site dans l’article intitulé Qualité de Vie au Travail : état des discussions entre partenaires sociaux, montre clairement que les Conditions de travail et la Santé au travail ont été reléguées au second plan.

Invité à préciser sa pensée sur l’articulation entre la négociation entre partenaires sociaux et la mise en oeuvre d’actions concrètes, Michel Sapin précise :

« Au terme de la négociation qui a commencé fin septembre et qui devrait aboutir au printemps 2013, nous rencontrerons les partenaires sociaux pour définir ensemble des mesures pour appliquer au mieux leurs décisions. Par exemple, certains points de la négociation sur l’égalité professionnelle pourraient nécessiter une modification de la loi ou de la réglementation. Sans attendre, nous allons mener des expérimentations sur l’égalité professionnelle dans trois régions pilotes, Auvergne, Midi-Pyrénées et Bretagne, sur des sujets précis : mixité, formation, temps partiel, organisation. Notre objectif est d’étendre cette expérimentation ensuite à d’autres régions. »

Une fois de plus, c’est bien l’égalité professionnelle qui semble primer, les conditions de travail étant reléguées au second plan, en termes trop généraux pour qu’on puisse en tirer de véritable enseignement :

« En matière de conditions de travail, nous devons progresser surtout dans la gouvernance des politiques de santé au travail, tant au niveau national que régional. Nous voulons accroître le rôle du Conseil d’orientation sur les conditions de travail et renforcer les relations entre les principaux organismes intervenant dans le champ de la santé au travail. De même, l’instance régionale de gouvernance qu’est le comité régional de prévention des risques professionnels doit être consolidée. »

En dehors des thèmes récurrents de la Gouvernance et du « renforcement des relations entre les principaux organismes intervenant dans le champ de la santé au travail » (ce qui avait été baptisé « décloisonnement » dans le Plan Santé au travail 2005-2009), véritables « tartes à la crème » balancées dans tous les discours officiels des nombreux Ministres qui se sont succédé depuis le départ de Gérard Larcher, en dehors également de l’importance accordée à la dimension régionale de la Santé au travail, on ne trouve en réalité rien de concret sur les Conditions de travail elles-mêmes.

A la question de savoir si cela augure d’une évolution de la prise en compte des Conditions de travail et de la Santé au travail, Michel Sapin donne une réponse tout aussi imprécise, en affirmant :

« Les entreprises ont compris qu’on ne pouvait plus traiter les problématiques de santé uniquement sur le mode curatif. En cela, les problèmes de risques psychosociaux ont eu un effet déclencheur. La prévention nécessite une approche globale du fonctionnement des entreprises. »

La conclusion, destinée à conforter l’importance du rôle de l’ANACT, alors que celle-ci se trouverait dans une situation délicate, en attendant l’entrée en fonction d’Hervé Lanouzière, est tout aussi « bateau » ; bien malin celui qui peut y trouver le moindre signe d’intérêt réel pour les questions de Santé au travail :

« Organisation, ressources humaines, compétences, accompagnement du changement, management, relations sociales… la qualité de vie au travail doit s’inscrire dans une approche globale et plus préventive. Elle nécessite une réflexion sur ses contours et sur le rôle de ses acteurs, hors de et dans l’entreprise. Mais, quel que soit le résultat de cette réflexion, le Réseau Anact est un atout incontestable et incontesté au plan national comme sur les territoires. »

A en croire Michel Sapin, les progrès en matière de Santé au travail seraient donc à rechercher du côté des partenaires sociaux, dans le cadre du « dialogue social à la française », pour reprendre ses propres termes.

Et c’est bien ce qui est le plus inquiétant dans son discours, car, si l’on se fie aux propos de certains des partenaires sociaux qui participent aux négociations en cours, et à la relation qui en est faite dans certains médias, le fameux « dialogue social à la française » apparaît un peu « enrhumé » et la montagne risque fort d’accoucher d’une souris.

Il faut bien admettre qu’avec la réforme de la Santé au travail, nous y sommes déjà habitués mais qui peut s’en satisfaire ?

D’où le retour à la seule question qui vaille : peut-on espérer une véritable négociation sur les Conditions de travail et la Santé au travail, détachée de la seule prise en compte de l’Egalité professionnelle et de la notion envahissante de « Qualité de vie au travail » ?

Si l’on se fie aux termes d’une autre interview de Michel Sapin, publiée dans le n° 80 de la revue Santé et Travail, rien n’est moins sûr. A la question « François Hollande s’était engagé à revenir sur la réforme de la médecine du travail. Qu’allez-vous faire ? », Michel Sapin répond :

« Cette réforme a suscité des critiques et elle contient, sûrement, des éléments contestables. Mais si je devais rendre hommage à nos prédécesseurs, ce serait pour l’avoir menée jusqu’à terme. L’entrée en application très récente, le 1er juillet dernier, ne permet pas de revenir sur les évolutions adoptées. Cela aurait provoqué plus de troubles qu’une amélioration attendue. Il faut maintenant regarder vivre ce nouveau cadre, repérer les points de blocage et les effets bénéfiques. Nous ne pratiquerons pas la politique de l’essuie-glace. Le besoin de réformer s’imposait et ce n’est pas parce que ce changement a été décidé précédemment qu’il faut tout effacer. Nous analyserons les résultats de la réforme et, si cela s’avère nécessaire, nous apporterons des modifications. »

Le moins que l’on puisse dire est que cette réponse, en forme de quasi hommage à un texte (la loi du 20 juillet 2011) que ses amis (dont plusieurs sont devenus Ministres depuis) ont rudement combattu à l’Assemblée Nationale et au Sénat, est en totale contradiction avec les engagements pris. Quant aux « arguments » avancés, disons simplement qu’ils ne peuvent convaincre ou satisfaire que les personnes ayant suivi la genèse de la réforme de… très loin ou pour qui la Santé au travail ne saurait constituer un objectif prioritaire, à travers une approche très « realpolitik » (au sens de vision à court terme) qu’on espérait ne pas trouver en matière de Santé au travail.

Michel Sapin enfonce le clou dans sa réponse à la question suivante, « La santé au travail demeure-t-elle une priorité pour vous, au même titre que l’emploi ? » :

« Le souci de l’efficacité doit, certes, guider nos actions pour développer l’emploi, mais pas aux dépens de la qualité du travail. Il y a là une exigence politique mais aussi presque morale qui s’impose à nous. Lors de la conférence sociale, il a été décidé avec les partenaires sociaux de renforcer la gouvernance de la politique de santé au travail tant au niveau national que régional. L’objectif est de développer des actions partenariales ciblées sur des branches et des territoires, en visant les petites entreprises, où il y a un travail important à réaliser pour améliorer les conditions de travail. »

Réponse « à côté de la plaque », qui renvoie logiquement aux thèmes de la Gouvernance et des actions, évidemment « ciblées », au niveau des « branches » et des « territoires », retour aux fameuses « tartes à la crème » évoquées plus haut.

Au vu de ces prises de position du Ministre lui-même, la négociation sur la Qualité de Vie au Travail engagée dans la foulée de la « Grande Conférence sociale » pourrait n’être en réalité qu’un habillage permettant de noyer certaines questions de fond, ignorées par la réforme et qui ne figurent manifestement pas en bon rang dans l’agenda du Ministère, habillage accompagné d’une campagne d’information (de promotion serait un terme plus approprié) sans précédent pour rendre familière cette fameuse QVT dont (presque) personne n’avait entendu parler il y a moins d’un an…

Il est vrai qu’habillage et babillage sont, depuis quelque temps déjà, les deux mamelles de la communication en matière de Santé au travail…

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE novembre 2012

Photo GP

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  • Pour accéder à l’interview de Michel Sapin à l’ANACT, cliquer ici
  • Pour accéder au numéro 346 de la revue Travail et Changement – Spécial Régions, cliquer ici
  • Pour accéder à l’interview de Michel Sapin à la Revue Santé et Travail (reproduite avec l’aimable autorisation de François Desriaux), cliquer ici

On pourra également lire, dans le même numéro de Santé et Travail, l’éditorial de François Desriaux, Revenir à l’équilibre, qui éclaire parfaitement les limites de la négociation entre partenaires sociaux, notamment sur les questions de Santé au travail, à propos desquelles il estime, d’une part, que « sans grande surprise, la santé au travail n’a été traitée qu’à la marge lors de la grande conférence sociale de juillet. Et, en cette rentrée morose, les chiffres catastrophiques du chômage et les perspectives économiques particulièrement sombres ont imposé un tempo et un seul : la mobilisation pour l’emploi. Les conditions de travail attendront », d’autre part, que « les pouvoirs publics ne peuvent sur ce sujet se contenter de jouer les greffiers de séance. C’est un domaine partagé, où l’Etat, garant de la santé publique, garde des prérogatives régaliennes et peut être condamné s’il tarde à prendre des mesures. Un dialogue tripartite sur ces questions serait donc plus judicieux et plus conforme à nos institutions. »

On pourra enfin se reporter aux articles déjà publiés sur notre site, consacrés à la Grande Conférence Sociale et à la QVT :

 

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