Questions auxquelles la réforme de la Santé au travail ne répond pas : éléments de réponse, deuxième partie-2 (Alain Dômont)

Le présent article est la seconde partie du deuxième chapitre du dossier élaboré par le Professeur Alain Dômont. C’est volontairement que, pour faciliter une compréhension autonome de cette partie par ceux qui n’ont pas nécessairement lu les chapitres précédents, il a insisté à nouveau sur plusieurs éléments déjà évoqués dans les articles 1 et 2.

Les paragraphes qui suivent, qui traitent, d’une part, des limites de la validité sanitaire de l’aptitude médicale, d’autre part, de l’évaluation des risques professionnels, montrent la pertinence du propos en même temps que l’absence de réflexion sur le sujet dans le cadre de la réforme !

En médecine du travail, le médecin contrôle et assure pour chaque salarié la traçabilité des conditions d’aptitude médicale exigibles pour l’accès ou le maintien au travail . Il est connu de tous que les fiches médicales d’aptitude sont renouvelées à échéance programmée et servent à valider devant les tribunaux « les ruptures de contrat de travail pour raison médicale », ce qui n’est pourtant pas l’objectif premier des surveillances de santé et de la prévention médicale !

Si certaines activités, comme évoqué dans le chapitre précédent, peuvent requérir un contrôle des capacités médicales spécifiques, assorti d’un avis d’aptitude médicale, comme par exemple les « postes de sécurité », toutes les activités professionnelles ne devraient pas être éligibles à ce type d’exigence. Surveillance de santé ne signifie pas contrôle médical des aptitudes au travail.

En matière d’exposition environnementale à des risques professionnels, c’est en effet la maîtrise sociotechnique des risques qui doit prévaloir sur le contrôle médical des aptitudes. Ce contrôle, déclenché à échéance régulière, obligatoire et systématique, généralisé dans le secteur privé à tous les examens cliniques de médecine du travail en 1979, reste inchangé en 2012. Il pérennise une fausse certitude, dommageable non seulement en termes d’emploi, mais aussi parfois en termes de santé, par la fausse certitude qu’il génère.

Nombreux sont en effet ceux qui pensent que si l’opérateur est médicalement apte au travail, c’est que ses conditions de travail sont satisfaisantes, ce qui est très souvent faux . La multiplication de l’indemnisation des pathologies professionnelles en atteste, chez certains salariés estimés tout au long de leur carrière médicalement aptes à leur travail, jusqu’au jour de l’apparition d’une maladie professionnelle.

[…]

Depuis l’obligation de rédaction du document unique, son contrôle par l’Inspection du travail, introduit dans l’arsenal réglementaire en 2001 , aurait dû bien plus tôt supplanter celui de l’effectivité des visites médicales, tracées, depuis 1979, par la production des fiches d’aptitude.

Or, plus de dix ans après l’instauration de cette nouvelle obligation réglementaire, plus de vingt ans après la promulgation de la directive de 1989, et plus de trente ans après la généralisation abusive du contrôle des aptitudes médicales au travail, ce document, majeur pour la maîtrise sociotechnique des risques, est encore réalisé de manière très variable selon les entreprises. Son contrôle fait l’objet d’une attention souvent trop bienveillante, comparativement à ce qui se passe pour les fiches médicales d’aptitude.

Si certaines entreprises respectent leurs obligations en matière de santé au travail, d’autres n’établissent même pas le document unique, ou le rédigent de manière approximative, oubliant volontiers qu’il doit être actualisé annuellement. Le fait de pouvoir se faire aider par des « officines » prestataires de services dans le secteur de l’évaluation des risques professionnels, n’améliore pas réellement les choses.

Cette timidité dans la volonté de mieux maîtriser les risques « au poste de travail » doit être dénoncée. En ciblant le contrôle des activités médicales, on laisse un peu trop de côté celui des conditions de travail, sans pleinement tirer, dans l’organisation de notre système de santé au travail, le bénéfice que les études de la DARES  devraient induire. Celles-ci devraient inciter au renforcement du contrôle des conditions de travail.

L’évaluation et le dénombrement des altérations de la santé est certes intéressant, mais il faudrait agir préférentiellement avant l’apparition des maladies professionnelles. Le dispositif de contrôle des aptitudes médicales au poste de travail est à revoir, en développant de matière plus volontariste celui dévolu à la maîtrise technique des risques, dans l’esprit de la directive de 1989.

La réforme 2010/2012 ne s’est pas intéressée à ce point fondamental pour la promotion de la santé. Le maintien d’un contrôle systématique et généralisé de l’aptitude médicale va donc continuer à servir d’indicateur pour valider l’action de santé au travail des entreprises, alors que l’enjeu sanitaire n’est pas médical, mais ergonomique et professionnel. Il conviendrait de ne plus tolérer que le contrôle de l’effectivité de l’application des textes relatifs à la santé du travail reste principalement centré sur le dénombrement des visites médicales réalisées. Les objectifs de la santé au travail sont de protection et de prévention sociotechnique, avant d’être médicaux. Ils devraient donc inciter les entreprises à faire prévaloir de manière beaucoup plus volontariste qu’elles ne le font, le contrôle systématique et généralisé de la maîtrise sociotechnique des risques, sur celui des aptitudes médicales. Ce dernier deviendrait plus occasionnel et serait déterminé en fonction des demandes des salariés ou des exigences découlant de certaines activités professionnelles.

Nous ne doutons pas que cette analyse suscite de nombreuses réactions. C’est notre souhait que ces réactions s’expriment librement dans l’espoir qu’elles servent à faire (enfin) avancer les choses, ce que les initiateurs de la réforme née de la loi du 20 juillet 2011 n’ont ni su ni voulu faire…

GP

Après avoir évoqué les obligations des Employeurs en matière de Prévention et de Sécurité au travail, nous traiterons de la dynamique médicale sécuritaire en santé au travail.

Nous nous arrêterons sur la dualité de la pratique de la Médecine du travail et ses conséquences en termes d’aptitude médicale au travail, et, dans la troisième partie de ce chapitre, nous verrons la place du médecin du travail dans la lutte contre l’accidentalité professionnelle, en évoquant la réforme du traitement de l’aptitude médicale sécuritaire dans le contexte des transports terrestres.

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Copyright Alain Dômont – epHYGIE mai 2012

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