La Médecine du travail est-elle soluble dans la réforme ?

La consultation d’un petit ouvrage de François Daniellou publié par Octares Editions, « L’orthographe n’est pas soluble dans les études supérieures ! Aide-mémoire bienveillant, à l’usage des étudiants », m’a rappelé le souvenir, déjà lointain, du temps où, en ma qualité de Professeur de Sciences économiques, j’étais effrayé par la médiocrité de l’orthographe de mes élèves, et celui, tout proche, lui, du temps où je me lamentais à propos des affronts de plus en plus nombreux subis par la langue française, y compris sous la plume de hauts responsables, souvent diplômés au cursus universitaire long et brillant…

Pas un courrier, pas un CV, pas une note, pas un courriel sans que la langue française fût piétinée, martyrisée, massacrée… Au point d’en arriver à considérer un document écrit simplement « en français », sans faute d’orthographe ou de grammaire, comme une pure merveille ! Le constat, affligeant, est connu. Je ne m’y attarderai pas.

En raison de l’activité de son auteur, Professeur d’Ergonomie à l’Institut polytechnique de Bordeaux, « L’orthographe n’est pas soluble dans les études supérieures ! » m’a conduit à une autre réflexion, d’une nature toute différente :

La Médecine du travail est-elle soluble dans la réforme ?

La question mérite d’être posée quand on prend la mesure des agressions qu’elle subit depuis des années.

La réforme de la Santé au travail était indispensable, nul ne le nie. Qu’elle consacre aujourd’hui la pluridisciplinarité, avec, pour corollaire, la généralisation du travail en équipe, personne ne le conteste. Mais la Santé au travail doit-elle passer par la mort de la Médecine du travail ?

Quand on lit la loi du 20 juillet 2011 et les décrets d’application du 30 janvier 2012, on peut avoir le sentiment qu’un grand soin a été accordé à la Médecine du travail et aux Médecins du travail ? D’ailleurs, la loi parle de réforme de la Médecine du travail, non de la Santé au travail. N’est-ce pas la preuve de la considération qui entoure la spécialité et tous ses spécialistes ? Toutes les garanties relatives à leur indépendance, le fait qu’on leur donne un rôle central ne portent-ils pas témoignage de la haute estime en laquelle on les tient ? On pourrait poursuivre l’énumération des messages positifs les concernant, à la fois dans les textes et dans les débats qui les ont précédés…

Il n’est pas certain que la réalité soit conforme à cette présentation idyllique. Faute de former des Médecins du travail en nombre suffisant, leur effectif s’effondrera dans les prochaines années, ce qui conduira à leur substituer (et non à leur ajouter) des médecins non spécialistes et des infirmiers dans leurs activités médicales, et des IPRP dans leur action sur le milieu de travail…

En prétendant « recentrer » l’activité des Médecins du travail sur leur « cœur de métier », à travers notamment le monopole (justifié au demeurant) de la délivrance d’avis d’aptitude, ne contribue-t-on pas en fait à les marginaliser, voire à les éliminer ? Que penser également de leurs Missions, en concurrence directe avec celles confiées aux Services de Santé au travail qui les emploient ? Quid également de la préservation de leur approche de l’Humain, indissociable de l’éthique et de la déontologie attachées à leur métier ?

Il y a près de 30 ans que je milite en faveur de la pluridisciplinarité ; on peut donc difficilement me taxer de corporatisme.

La Santé au travail nécessite le recours à des spécialistes appartenant à de nombreux domaines, à l’intérieur et à l’extérieur des Entreprises, ce qui exclut que les Médecins du travail puissent prétendre couvrir seuls le champ de la Prévention des risques professionnels. Pour autant, le rôle qu’ils ont (auront) à jouer est (sera) essentiel, car, même si cela déplaît à certains, personne en dehors d’eux ne peut faire la jonction entre conditions de travail et santé, et, alors que le concept même d’aptitude est de plus en plus souvent mis en cause, leurs « avis » en la matière ne sont assurément pas la meilleure justification de leur maintien à une place éminente dans le système.

En revanche, dans la période de crise que nous traversons, et alors que, de surcroît, la moyenne d’âge de la population au travail ne cessera d’augmenter dans les prochaines années, la préservation du regard « médical » d’un Médecin spécialiste va se révéler de plus en plus nécessaire et précieuse. Est-ce bien l’orientation que dessine la réforme ? Rien n’est moins sûr, si l’on examine attentivement cette dernière, c’est-à-dire en ne s’en tenant pas aux seules apparences, et c’est bien là le problème : tout se passe comme si on pouvait se priver progressivement des compétences propres aux Médecins du travail, comme si la Santé au travail pouvait exister sans Médecine du travail, comme si, en résumé, la Médecine du travail était soluble dans la réforme du système…

Le croire est une erreur, agir en ce sens est une faute.

Les Salariés, les Entreprises, la Société elle-même pourraient le payer très cher demain. Mais il est vrai que demain, c’est loin, et que, dans une Société où priment le matériel et le court terme, avoir de telles préoccupations, c’est évidemment se ranger du côté du rêve et de l’inefficacité…

Gabriel Paillereau
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2 Comments

Daniellou

Merci de cette citation et du lien.
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