Le Bien-être au travail, un défi dans la crise : analyse et commentaires des 3èmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail (GP-1/3)

En raison de leur longueur, l’analyse et les commentaires du contenu des 3èmes Rencontres parlementaires, tenues le mercredi 10 avril dernier à la Maison de la Chimie, seront présentés en trois parties. La première partie, publiée ci-dessous, regroupe à peu près la moitié des interventions de la première table-ronde, « La Santé au travail, un enjeu de Santé publique ? ». La deuxième partie, que nous publierons dans quelques jours, achèvera la présentation de cette table-ronde. Quant à la troisième partie, elle regroupera les interventions de la deuxième table-ronde, « Bien-être et performance : se sentir bien pour travailler mieux ? », et les conclusions des Rencontres.

Cette présentation, rédigée à partir des notes que j’ai prises, est nécessairement subjective. Il est donc tout à fait normal que d’autres participants aux Rencontres les aient perçues différemment.

GP

Troisièmes du genre, les Rencontres parlementaires sur la Santé au travail, présidées par Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, ont réuni mercredi dernier quelque 300 participants à la Maison de la Chimie. Sans doute le titre choisi pour la matinée de travail n’y était-il pas pour rien, en raison de son caractère gentiment paradoxal : « Le bien-être au travail, un défi dans la crise ». Même appréciation en ce qui concerne les invités, mieux vaudrait dire les « habitués » pour certains d’entre eux, généralement considérés comme des « poids lourds » de la Santé au travail, même si, à force de les voir et de les entendre, leur discours apparaît un peu éventé.

Un programme au titre accrocheur, des acteurs connus pour jouer les premiers rôles, la représentation ne pouvait qu’être à la hauteur des attentes d’un public éclectique regroupant de nombreux protagonistes de la Santé au travail, acteurs ou bénéficiaires, appartenant aussi bien au secteur public qu’au secteur privé. Parmi eux, une minorité de Professionnels des Services de Santé au travail, Médecins du travail et Médecins de Prévention, Présidents et Directeurs, une trentaine au total, soit à peine 10 % de l’assistance. Sans doute la pénurie de Médecins du travail n’y est-elle pas étrangère. Formalité impossible oblige…

Le spectacle ne pouvait naturellement qu’être à la hauteur des attentes du public, ai-je écrit, mais justement, quelles étaient ses attentes ? Si j’excepte le point de vue d’une personne qui, en fin de matinée, a affirmé ne pas avoir trouvé ce qu’elle était venue chercher, c’est-à-dire « des réponses concrètes à ses questions », l’immense majorité des participants s’est contentée d’écouter sagement les interventions des uns et des autres sans manifester ses sentiments, sauf à de très rares occasions. Le fait d’applaudir à la fin de chaque monologue n’a jamais, selon moi, été une preuve de satisfaction, pas plus d’ailleurs que de partage d’idées, et encore moins de valeurs… Tout juste une marque de politesse, assortie d’un brin de routine.

Il faut dire que, très vite – en fait, dès le propos introductif de Régis Juanico -, il était possible de comprendre qu’en dépit du caractère « alléchant » de l’affiche proposée et d’une « distribution » de premier plan, le spectacle risquait d’être fade, les échanges avec la salle poussifs, et, pour finir, les conclusions insipides. Pour une raison simple : ce ne devait être ni une tragédie, même si la crise et ses effets en sont une, ni une comédie, car cela aurait été malvenu compte tenu du contexte, mais un spectacle « de cape et d’épée », avec un large manteau pour étouffer en douceur tout discours détonnant (et potentiellement détonant) et des épées en bois pour ne surtout blesser personne !

Il fallait être plus « positif » que positif, plus « consensuel » que consensuel, plus Royaliste que le Roi. Or le « Jua »(nico), justement, dont je suis convaincu qu’il me pardonnera ce très mauvais jeu de mots franco-ibérique, voulait la Paix, ou, plus exactement, il voulait qu’on la lui « fiche », à lui et aux responsables politiques, pendant cette journée !

C’est donc par un satisfecit que commencent les Rencontres, Régis Juanico se disant « content » du thème choisi… Chargé de mission à l’ANACT lors de la mise en place de la Qualité de Vie au Travail (il faut dire QVT !), il y a une dizaine d’années, il connaît bien la question. Il constate avec justesse que, pendant trop longtemps, les conditions de travail ont été occultées par l’Emploi. La QVT est un facteur de Performance (avec un grand P, évidemment !) économique et sociale, en même temps qu’un levier de la Compétitivité (avec un grand C, cela va de soi !). Bien sûr, c’est une notion difficile à appréhender car elle renvoie à de nombreuses autres questions, mais son mérite est immense puisque, au cœur même de la QVT, se trouve l’Organisation du travail (avec un grand Ô !), dont chacun sait aujourd’hui à quel point elle est essentielle…

Comment mieux associer les salariés ? Il y a des exemples à puiser au Québec et en Norvège, qui pourraient être repris dans les discussions en cours (« en panne » serait plus exact, comme on le verra plus tard à partir des propos de Jean-François Naton), dont l’enjeu serait de recréer des « Espaces de dialogue » dans l’organisation de l’Entreprise, de l’« Ecoute » chez les Managers, des « Marges de manœuvre », autant de concepts du genre « tarte à la crème » que l’on retrouve aujourd’hui dans pratiquement tous les écrits traitant des questions de Management et de Santé.

Ne pas oublier, cela va de soi, la Formation et les CHSCT, « lieux de dialogue social privilégiés », évidemment incontournables, même si 14 000 seulement seraient « actifs » sur les 24 000 mis en place au plan national…

Tout est évidemment juste dans ce discours très propre, parfaitement « calibré », prononcé par un homme doté de réelles convictions et de compétences indéniables en Santé au travail, mais, il ne m’en voudra pas, c’est avant tout le discours d’un homme « politique » soucieux de ne pas faire de vagues. Un de plus ! Avant que Jean-Frédéric Poisson, auteur d’un Rapport remarqué sur la pénibilité, ne prenne le relais pour constater que la question de la Santé au travail n’est certes pas nouvelle mais prend une nouvelle direction, les attentes des générations montantes étant aujourd’hui très différentes des nôtres (en clair, on n’a pas les mêmes aspirations par rapport au travail à 30 ans qu’à 40, 50 ou 60) : la QVT et la Santé sont des questions prioritaires pour les « jeunes » d’aujourd’hui, ce qui en fait un enjeu majeur pour les Entreprises.

Retour sur la formation des Managers, insuffisante, sur celle des Partenaires sociaux, tout aussi insuffisante, et, pour faire bonne mesure, sur le CHSCT, « instance-clé pour demain ». Il faut dire qu’à la statistique donnée par Régis Juanico, Jean-Frédéric Poisson en ajoute une seconde, tout aussi problématique : il manquerait aujourd’hui entre un tiers et un quart des CHSCT au regard des dispositions réglementaires : cette donnée, pour autant qu’elle soit fondée, ajoutée à celle de Régis Juanico, conduirait à la conclusion (après un calcul que j’ai fait à la louche, comme on dit !) que sur 100 CHSCT qui existent ou devraient exister, moins d’1 sur 3 pourrait être considéré comme « opérationnel ». Donnée d’autant plus inquiétante que, toujours selon Jean-Frédéric Poisson, quand ils existent, beaucoup ne fonctionnent pas très bien et/ou sont des lieux d’affrontement… Il y aurait donc encore beaucoup à faire, ce qui, il faut bien l’avouer, n’a, depuis longtemps, échappé à personne…

Plus « musclé » que le discours de son Collègue, celui de Jean-Frédéric Poisson n’échappe pas pour autant, en ce début des Rencontres, à leur volonté commune de ne pas durcir les échanges, comme le prouve sa référence au bilan de la Loi et à la Circulaire d’application, manifestement faite pour rassurer en montrant que, grâce au travail des Elus de tous bords, les choses avancent dans le bon sens, alors que nous savons tous que beaucoup de sujets « qui fâchent » ont été laissés de côté, et qu’en réalité, elles font du sur-place avec le soutien des Politiques, de tous les Politiques, quel que soit leur camp, alors que les débats qui ont précédé le vote de la Loi, à l’Assemblée Nationale et au Sénat, avaient donné lieu à des échanges parfois très durs entre ceux qui, aujourd’hui, voudraient nous présenter la réforme de la Santé au travail comme une douce vallée aux couleurs vert tendre et rose bonbon peuplée de Bisounours !

Jean-Denis Combrexelle étant le troisième à monter sur scène, j’attendais, nous étions probablement nombreux à attendre beaucoup de son intervention, dans la mesure où c’était la première fois à ma connaissance qu’il s’exprimait publiquement depuis la publication de la Circulaire d’application et du Rapport de la Cour des Comptes, en novembre 2012. J’avoue avoir été pris à contrepied par l’angle d’attaque de son discours, celui-ci ayant débuté par l’affirmation du lien nécessaire entre Santé au travail et Santé publique, lien apparu avec les deux Plans Santé au travail, PST 1 (2005-2009) et PST 2 (2010-2014), et consacré aujourd’hui par le Juge à travers l’Obligation de Sécurité de Résultat. Un lien qui, selon lui, n’interdit pas de s’intéresser à la Santé au travail en tant que telle, car, même si elle est un élément de la Santé publique, elle a selon lui des caractéristiques et un rôle spécifiques.

Le pont entre les deux est la « Médecine du travail ». Il a déjà été beaucoup écrit sur la question, mais, pour Monsieur Combrexelle, le passage de la Médecine du travail à la Santé au travail et à la Santé publique n’est pas évident, aussi bien pour les Médecins du travail que pour les Services de Santé au travail.

Il ne faut pas opposer Conditions de travail et Emploi. On oublie souvent, insiste-t-il, que la principale source de souffrance est le chômage, ce que, soit dit en passant, les membres du Comité de grève de PSA Aulnay-sous-Bois ont rappelé avec force, l’après-midi même, aux participants des Rencontres de la Revue Santé et Travail, parmi lesquels Monsieur Combrexelle en personne…

Sont ensuite évoqués, une nouvelle fois, thèmes incontournables, la formation des Cadres aux questions de Santé au travail, le Management et la Qualité de l’Emploi, les CHSCT, et, pour la première fois dans la journée, signe que les Politiques préféraient éviter un sujet qui fâche vraiment, l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013 « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés », lien entre toutes ces problématiques.

Il n’est pas inintéressant de noter que cet Accord avait précisément été, la veille même, à quelques encablures seulement du lieu des Rencontres (pour ceux qui l’ignoreraient, la Maison de la Chimie est toute proche de l’Assemblée Nationale, ce qui en fait un lieu privilégié pour l’Organisation de Colloques en tous genres – dont ceux d’epHYGIE –, les Députés pouvant tout à loisir continuer à vaquer à leurs occupations habituelles), à l’origine d’une manifestation « animée », « musicale », « enfumée » et « bon enfant » des Organisations syndicales opposées à la Loi, tout juste votée par les Députés, ainsi que, je peux en témoigner car je me trouvais sur place au même moment pour un rendez-vous important, de difficultés énormes pour se déplacer, le centre de Paris ayant été totalement bouclé pour l’occasion par peur de débordements…

Représentant un défi pour tous, ces questions doivent être prises en compte, et, parmi elles, celles de l’Organisation du travail et du Management, les Managers devant être de plus en plus impliqués, ce qui n’est pas forcément chose aisée, dans le Secteur public en particulier, où la fonction de DRH n’existe pas…

Au total, de la part de Jean-Denis Combrexelle, un discours vif, au contenu en partie inattendu, qui aura probablement à la fois intéressé ou déçu, à moins que ce ne soit les deux en même temps, des participants qui ne s’attendaient probablement pas à ce type de propos.

Avec Alexandre Jost, Président fondateur de la « Fabrique Spinoza » (dont le nom est un programme à lui seul), « think tank du Bien-être citoyen », comme le présente la brochure distribuée aux participants, changement de ton. On découvre que le premier facteur bloquant serait le manque de conviction des Dirigeants, puisque un tiers seulement d’entre eux seraient « convaincus », ce qui n’est pas vraiment une surprise quand on fréquente un peu le terrain. Or, le lien entre Bien-être au travail et Performance de l’Entreprise est bel et bien là, comme le confirmerait une étude d’Anne-Sophie Godon pour le compte du Groupe Malakoff-Médéric… Comme le confirmerait également une méta-étude réalisée à partir de 225 travaux sur la question réalisés dans différents pays.

Ayant distingué l’approche du Médecin, celle du Juge et celle du Philosophe, il s’interroge sur la mesure de la satisfaction, insistant sur le caractère essentiel de la vision que l’individu a du travail, et invite les Parlementaires à se doter d’un cadre de réflexion sur le Bien-être au travail, qui, aujourd’hui, ferait défaut.

Pour revenir à la Philosophie, il rappelle que Spinoza fut le Philosophe du Bonheur et de la Joie, ce qui devrait, selon lui, inciter chacun d’entre nous à porter un regard « joyeux », ce qui ne signifie pas angélique,  sur le Travail…

Sans doute mais j’avoue que l’association, particulièrement maladroite et malvenue à mes yeux, de la Joie, du Travail et de la Performance, me trouble, Monsieur Jost voudra bien me le pardonner, tant elle évoque hélas pour moi les fameux et nauséabonds « Arbeit macht frei » (le Travail rend libre), slogan affiché au-dessus de l’entrée des Camps de concentration, et « Kraft durch Freude » (la Force par la Joie), nom de l’Organisation de loisirs de masse du « 3 ème Reich », qui symbolisent peu ou prou le système nazi, et, plus généralement, tous les systèmes totalitaires… Spinoza n’avait certainement pas imaginé pareils rapprochements !

L’intervention de Michel Debout, Professeur de Médecine légale et Président de l’Association « Bien-être et Société », sans aller aussi loin que je le fais ici dans sa critique des propos de son prédécesseur et voisin à la tribune, remettra les choses en place. Professeur de Médecine légale et de Droit de la Santé au CHU de Saint-Etienne, il dit craindre, après cet « Hymne à la Joie », d’être un peu… rabat-joie ! Si tous les salariés ne meurent pas, beaucoup sont atteints dans leur santé.

Rejoignant le point de vue de Jean-Denis Combrexelle, il considère que le chômage pose un problème d’ordre humain et sanitaire : en clair, c’est un problème de Santé publique. Or, depuis que le Conseil Economique et Social s’est penché sur la question, en 1992, à travers un Rapport sur le suicide dont il était l’auteur, la situation n’a pas vraiment évolué selon lui.

Le chômage commence par le licenciement mais le considère-t-on comme un événement psycho-traumatique ? Manifestement pas, car, si tel était le cas, on mettrait en place des cellules psychologiques. Or, pour le Professeur Debout, le chômage est un véritable événement traumatique, dont la gravité est largement sous-estimée. Il est à l’origine d’une vraie désorganisation de la vie personnelle et familiale, doublée d’une atteinte identitaire forte qui induit une tendance au repli sur soi ainsi que la montée du risque suicidaire.

La question est clairement posée mais on n’a pas voulu, on ne veut pas la voir : ainsi, l’Observatoire du Suicide n’existe toujours pas, deux mois après l’annonce de sa création, en février dernier.

Faisant allusion aux combats menés dans des Entreprises menacées de licenciements massifs, il se réjouit que des gens se battent pour partir la tête haute. « Qui suis-je si je me laisse broyer ? » : cette question est selon lui la preuve de cette atteinte identitaire, non reconnue. Il insiste également sur l’importance de la Solidarité, entre ceux qui travaillent et avec l’extérieur : grâce à elle, la victime du chômage continuera à se battre. Il est d’autant plus important de le souligner que, comme il le relève, « les chômeurs se heurtent à un paradoxe ; ils perdent en effet l’accès à la Médecine au moment où ils en auraient le plus besoin ! »

Il faudrait, selon lui, que les Médecins du travail continuent à les suivre pendant 2 ans après leur départ de l’Entreprise…

Un point de vue « décapant », « dissonant » même, dont on aimerait qu’il soit entendu et suivi d’effet, mais rien n’est moins sûr. Aucune disposition dans la réforme de la Santé au travail ne va dans ce sens et les négociations entre partenaires sociaux n’augurent rien de semblable à court ou moyen terme…

A suivre

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE avril 2013

Tableau et Photo GP

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