Santé au travail et télémédecine : un service parfaitement assuré…

L’alerte Google sur la Santé au travail, il y a deux jours, a surpris voire choqué de nombreuses personnes. On y apprend que le Groupe Malakoff Médéric propose un nouveau service gratuit en ligne aux entreprises leur permettant, à travers un autodiagnostic, de faire le point sur le respect de leurs obligations légales en matière de santé et de sécurité au travail.

On y découvre également que le questionnaire, disponible sur le site Situation santé sécurité, a été conçu en partenariat avec neuf services de santé au travail, l’ACMS, l’Action sociale pharmaceutique, l’AHI 33, l’AIMST 13, l’AIPST, l’AST Grand Lyon, l’AST 67, Pôle Santé Travail et Yvelines Santé travail.

Il est précisé enfin que le questionnaire est complété de références juridiques et/ou d’avis d’experts rédigés par les Services de Santé au travail, une synthèse des réponses permettant à chaque entreprise d’identifier les axes à améliorer en matière de prévention et de se comparer aux entreprises de taille et de secteur similaires.

Tout à fait respectable, la démarche ne manque pas de surprendre malgré tout alors que la réforme de la Santé au travail fait en ce moment l’objet de discussions difficiles à l’Assemblée Nationale et au Sénat. On est en effet en droit de se demander laquelle des deux voies représente la « vraie » réforme : celle, jonchée d’obstacles, que nous ne connaissons que trop depuis de longues années, ou celle, parfaitement « marketée », ne souffrant apparemment ni de difficulté ni de contrôle, que décrit cette annonce.

Du coup, la proposition de loi réformant la Santé au travail devant être votée aujourd’hui même par l’Assemblée Nationale avant d’être examinée par le Sénat dans quelques jours, divers articles traitant de cette question, dont celui-ci, mis en ligne sur le site il y a un peu plus d’un mois, bénéficient d’un « regain d’actualité »…

Les nombreuses questions posées par cette démarche sont loin d’être résolues et nous aurons à coup sûr l’occasion d’y revenir bientôt.

Gabriel Paillereau

 

Assurer (pardon ! réaliser…) une veille sur internet est une activité passionnante, qui exige beaucoup de curiosité et de patience. On y perd beaucoup de temps à aller d’un site à l’autre, et y retrouver les mêmes informations… Pour une perle, que de vulgaires cailloux ! Cette perle de premier choix, je pensais l’avoir trouvée avec l’annonce d’un soutien financier de 30 millions d’euros au déploiement de projets sur la télémédecine en 2011.

J’avais eu l’occasion, ces derniers mois, de discuter à plusieurs reprises de ce sujet, en lien avec la pénurie qui frappe toutes les professions médicales. Désireux d’en savoir davantage, j’ai recherché ici et là, au gré du choix des mots clés ponctuant toute recherche sur Internet, des informations complémentaires m’aidant à mieux comprendre la portée d’une évolution généralement présentée comme un progrès déterminant, prolongement logique du développement des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication).

L’appel à projets sur la télémédecine pour 2011

Le projet de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de l’Agence des systèmes d’information partagés en santé (ASIP santé) précise les modalités du soutien financier au déploiement de la Télémédecine dans les régions pour l’année 2011.

On y apprend que toutes les Agences Régionales de Santé (ARS) bénéficieront de moyens financiers destinés à la promotion de projets innovants et s’inscrivant dans les grandes orientations fixées par le comité de pilotage national interministériel animé par la DGOS avec l’appui de la Délégation à la stratégie des systèmes d’information en santé (DSSIS).

Ce financement global vise à favoriser et soutenir la mise en place ou le déploiement de projets de télémédecine existants ou prêts à être mis en œuvre. Concrètement, il s’agit de :

  • soutenir les dynamiques d’ores et déjà engagées sans attendre la finalisation du programme régional de Télémédecine pour les régions ayant un peu d’avance ;
  • promouvoir de nouvelles formes de pratiques médicales afin d’accompagner les régions en amont et en aval du plan stratégique national de déploiement de la télémédecine ;
  • favoriser l’innovation afin de répondre de manière transversale et pluridisciplinaire aux besoins de santé des patients ;
  • construire des modèles organisationnels, juridiques et financiers pérennes et reproductibles.

Cette enveloppe est répartie en deux dotations :

  • une dotation de 14,4 millions d’euros a été mise à la disposition des 26 ARS sur une base populationnelle.
  • une dotation de 11,6 millions d’euros est proposée à 13 ARS pour le développement des usages de la télémédecine dans la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral (AVC)

D’autre part, 5,8 millions d’euros sur 3 ans seront également mobilisés sous la forme de subventions directes de l’ASIP santé dans le cadre de son appel à projets 2011.

Qu’est-ce que la télémédecine ?

Le développement de la télémédecine correspond en fait à des préoccupations déjà anciennes. La visite du site de l’OMS se révèle fort intéressante : on y découvre notamment la différence entre télémédecine et télésanté. Celle de l’0bservatoire de la télémédecine montre la richesse insoupçonnée du domaine (pour qui n’appartient pas à la Médecine de soins) ; des sites ressources français aux glossaires et ressources Web, des projets, articles scientifiques et applications en télémédecine aux salons, colloques et manifestations, des livres aux portails d’information, français et internationaux, on a accès aux informations les plus complètes sur le sujet.

Un groupe de travail de l’UE sur la santé en ligne s’est réuni pour la première fois le 10 mai dernier à Budapest, sous la houlette du président de l’Estonie, Toomas Hendrik Ilves. Il est chargé d’évaluer le rôle des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le domaine de la santé et de l’aide sociale et d’émettre des propositions pour accélérer l’innovation dans le monde de la santé au profit des patients, du personnel soignant et de l’ensemble du secteur.

Parmi les nombreux articles récents traitant de la question, on peut citer celui mis en ligne sur le site mieux au travail.fr, ceux parus dans le Journal de MEDTEC France (avril 2010, volume 2, n° 1) « Le développement de la télémédecine : des enjeux médico-économiques majeurs, des besoins considérables en dispositifs médicaux », le Quotidien du Médecin, leParisien/Aujourd’hui en France (avec une interview de Madame Roselyne Bachelot) ou Le Point, dans lequel le Journaliste se demande si les médecins seront bientôt derrière un écran pour soigner leurs patients.

On y découvre les expériences en cours, dans le monde hospitalier en particulier, ainsi que le rôle majeur des ARS, dont la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) souligne le « pouvoir discrétionnaire », ce qui pourrait, d’une part, faire varier les rémunérations d’une région à l’autre, d’autre part, induire « une insupportable injustice pour les médecins, mais également pour les patients ».

On y découvre également que si la télémédecine est bien un « acte médical à part entière », présentant un réel intérêt puisqu’elle permettra d’avoir « un avis spécialisé, sans déplacer le patient ou le spécialiste », alors même que « 20 % de la population vit sur 80 % du territoire », elle ne pourra pas tout couvrir. « Si un patient souffre d’une douleur abdominale, il faut que le médecin palpe le ventre », dit le Docteur Lucas, Vice-Président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Et la télémédecine « ne remplacera pas la rencontre entre le médecin et des patients qui en ont besoin ».

Les Rapports officiels sur la télémédecine en France

Une étude plus approfondie de la question montre qu’elle été abordée par les responsables politiques dès 2004 dans un rapport intitulé « Nouvelles technologies de l’information et système de santé : la nouvelle révolution médicale », établi par M. Jean Dionis du Séjour, Député, et M. Jean-Claude Etienne, Sénateur (Rapport n°1686 de l’Assemblée nationale – n° 370 du Sénat – consultable sur les sites Internet AN et Sénat).

Plus près de nous, à l’initiative de la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins du Ministère de la Santé et des Sports, citons le Rapport « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins », établi par Pierre Simon et Dominique Acker, Conseillers généraux des établissements de santé – Novembre 2008 -, ainsi qu’une étude européenne, beaucoup plus récente puisque datée de mars 2011, consacrée à la télésanté et à la télémédecine en Europe, réalisée pour le compte d’ASIP Santé (Agence de Systèmes d’Information Partagés de Santé), à l’origine du projet présenté au début de l’article, et de la FIECC (Fédération des Industries Electriques, Electroniques et de Communication).

Méritent également une attention particulière l’intervention d’Emmanuelle Wargon, Secrétaire générale des Ministères chargés des Affaires sociales, au Carrefour de la télésanté organisé le 4 novembre 2010 par le SNPI CFE-CGC, et, davantage encore, le Rapport sur un sujet connexe, la Médecine de proximité, établi par le Docteur Elisabeth Hubert, dont elle a donné la primeur à la Faculté de Médecine Paris V Descartes dans une Conférence, quelques jours avant sa remise au Président de la République.

Compte tenu de son origine, (demande du Président de la République lui-même) et de la personnalité de son auteur, Elisabeth Hubert, ancien Ministre de la Santé, c’est ce Rapport qui a été le plus commenté, généralement en termes plutôt favorables et mesurés, parfois aussi en termes extrêmement critiques, comme ceux que l’on trouve en particulier sur le site du NPA.

« Vigisanté » : le chaînon manquant entre télémédecine et Santé au travail ?

En notre qualité d’assurés sociaux, nous sommes tous en droit de nous interroger sur l’évolution qui s’annonce ; en notre qualité de professionnels de la Santé au travail, nous pouvons nous poser une autre question : la Médecine libérale est-elle seule concernée ? Ou, dit plus clairement, la Santé au travail est-elle également visée ?

Aucun indice en provenance du Ministère du Travail ne le laisse supposer si l’on s’en tient à la lecture attentive des textes et interventions officiels émanant de ses responsables. Et pourtant, quand on s’aventure sur internet, comme je l’ai fait par simple curiosité, avec, pour mots clés, Télémédecine et Santé au travail, on a la surprise de découvrir l’existence d’un programme de télémédecine « édifiant » intitulé Vigisanté, dont la genèse est rappelée sur le site du Ministère de l’Industrie.

Y est confirmé le fait que l’hypertension artérielle est un enjeu de santé publique majeur pour lequel le programme Vigisanté propose d’apporter des solutions innovantes :

L’hypertension artérielle est aujourd’hui la pathologie cardiovasculaire la plus fréquente en France, puisqu’elle concerne 10,5 millions de personnes qui suivent un traitement, soit près de 23 % de la population de plus de 18 ans. Et on estime qu’il existe 7 millions d’hypertendus non traités et/ou non dépistés (CNAMTS – octobre 2007). Cette maladie chronique et les facteurs de risques qui y sont associés constituent un enjeu majeur de santé publique.

Vigisanté est un programme français de télémédecine incluant le dépistage, l’accompagnement et le suivi à domicile des personnes hypertendues, en relation avec les médecins traitants.

Il comprend outre le dépistage en entreprise des salariés qui le souhaitent :

  • une chaîne complète et coordonnée de services utilisant des dispositifs médicaux communicants à partir du domicile (exemples : auto-tensiomètre, pilulier électronique …),
  • une plate-forme médicalisée d’accompagnement des patients par téléphone et internet,
  • un système expert à destination du médecin traitant pour faciliter le suivi de son patient.

La deuxième « surprise », si l’on peut dire, tient aux initiateurs du programme, trois groupes de protection sociale – Malakoff Médéric, Vauban Humanis et D&O – réunis par le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). En partenariat avec la CNAMTS et l’ARS Nord Pas-de-Calais, le programme s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre le régime de Sécurité sociale obligatoire, les régimes complémentaires et les offreurs de soins en vue de l’optimisation médicale et économique de la prise en charge des maladies chroniques.

Il est précisé que Vigisanté associe également :

  • un groupe hospitalier,
  • deux PME spécialisées dans les technologies innovantes,
  • une plate forme médicalisée d’accompagnement des patients,
  • deux laboratoires de recherche et d’évaluation (dont l’Unité 936 de l’Inserm).

Déployé sur 2 ans à partir de 2011, dans la région Nord Pas-de-Calais dans un premier temps, Vigisanté sera proposé à 13 500 salariés environ.

A moyen terme, le bénéfice escompté de la généralisation de cette expérimentation est, on l’aura compris, « une réduction des dépenses prises en charge par l’Assurance Maladie et par les régimes complémentaires », objectif des plus louables, tout le monde en convient, en ces temps particulièrement difficiles…

La troisième « surprise », indissociable de la précédente, est la conclusion du projet, qui conduit à s’interroger sur certains aspects « masqués » de l’évolution de la Santé au travail, sur lesquels j’ai déjà largement exprimé mon point de vue à plusieurs reprises :

  • Vigisanté est présenté en effet comme étant « un programme original et innovant qui s’appuie sur le rôle de l’entreprise en matière de santé ».
  • Son originalité réside également dans « le rôle donné à l’entreprise dans la promotion de programmes de santé, en relation avec les médecins du travail. La santé au travail, facteur clé du bien être au travail, est au cœur des préoccupations des salariés et devient en effet un enjeu majeur pour les entreprises ».
  • Reposant sur une démarche volontaire des salariés et encadré par un respect strict de l’anonymat des données de santé, « le programme Vigisanté va permettre de toucher un grand nombre de salariés et de contribuer au lancement effectif de la télémédecine à grande échelle en France ».

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L’avenir de la Santé au travail semble se jouer ailleurs que dans sa réforme officielle

En clair, avec Vigisanté, une grande découverte vient d’être faite : la Santé au travail est l’affaire des Entreprises…

Au risque de déplaire, je pense être en droit de dire une nouvelle fois que la place et le rôle des Organismes de prévoyance et Sociétés d’Assurances, que je tiens par ailleurs en grande estime pour leur rôle dans le secteur d’activité qui est le leur, ne sont jamais allés (et ne vont toujours pas) de soi dans le champ de la Santé au travail.

Une chose apparaît pratiquement certaine à la lumière du projecteur ainsi braqué par hasard sur une réalité que beaucoup feignent d’ignorer : l’évolution du système français de Santé au travail apparaît clairement se dessiner de facto en dehors de la réforme « officielle », en berne depuis de nombreux mois, pratiquement au mépris de la plupart des Elus de la Nation, sous l’égide d’autres Ministères (Santé et Industrie) que celui (Travail) dont dépendent les Services de Santé au travail, à l’insu enfin des partenaires sociaux, mais, en revanche, en étroite collaboration avec certains lobbies particulièrement influents…

On peut d’ailleurs trouver un autre indice de cette évolution dans les Assises de la simplification des formalités administratives, sur lesquelles je me suis déjà exprimé sur le site à la fin du mois d’avril.

Même si je ne partage pas les positions du NPA, la conclusion de l’article cité précédemment, relatif au Rapport Hubert, mérite grande attention lorsque son auteur, Frank Cantaloup, s’oppose formellement aux « maisons de santé avec tarification graduée pilotées par les objectifs de maîtrise de dépenses de santé de la Sécu et les profits des assurances privées du rapport Hubert ».

Qu’on ne se méprenne pas : l’utilisation des ressources des NTIC au service de la télémédecine est nécessaire, voire indispensable. Elle constitue assurément un progrès remarquable pour certaines spécialités médicales, dans certaines situations et face à certaines pathologies. Encore faut-il ne pas tomber dans le travers habituel du « technicisme » et leur accorder des « vertus générales » qu’elles n’ont pas et n’auront jamais.

La vérité se cache-t-elle sous le « caillou » ?

A la recherche d’une Perle, j’ai finalement découvert un Caillou d’une valeur bien plus grande encore, puisque, dans une sorte de Conte du Petit Poucet à rebours, il éclaire la voie (de contournement) que semble emprunter aujourd’hui l’évolution de la Santé au travail, très éloignée des propos convenus des discours officiels et des gesticulations de certains…

Ainsi, dans ma quête de connaissances, partant naïvement d’un simple appel récent à projets sur la télémédecine, je suis arrivé à un autre projet, déjà « ficelé » depuis longtemps, dans lequel on découvre que la Santé au travail est concernée, via des « agents » qui, pour la plupart, n’en sont pas des acteurs institutionnels, alors que, dans le même temps, on amuse la galerie avec une réforme qui n’en finit pas de naître (à moins que ce ne soit de mourir…) et dont nous comprenons qu’elle pourrait n’être qu’un leurre…

Alors ? Santé et patients, Santé au travail et salariés, ont-ils les mêmes « faux amis » et se trouvent-ils engagés sans le savoir dans un même combat ?

La question est trop importante pour nous en tenir là. La suite donc dans un prochain article, qui, je l’espère, sera nourri des réflexions sur les relations souhaitables et possibles entre Santé au travail et télémédecine, sur celles aussi entre Santé au travail et Assurances, exprimées par ceux, dont je suis, qui croient encore aux vertus d’une Santé au travail efficace, protégée de ses « bienfaiteurs » autoproclamés, qui, quoi que puissent donner à penser leurs actions, seraient rapidement les principaux bénéficiaires d’une Révolution réalisée « en douce »…

Gabriel Paillereau

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