Le Bien-être au travail, un défi dans la crise : analyse et commentaires des 3èmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail (GP-2/3)

Nous poursuivons, avec cette deuxième partie, l’analyse et les commentaires des troisièmes Rencontres Parlementaires sur la Santé au travail, qui se sont tenues le mercredi 10 avril dernier à la Maison de la Chimie. Nous achèverons la présentation de cette manifestation en début de semaine prochaine, avec le contenu de la deuxième table-ronde, nettement moins dense que la première, et les conclusions.

J’ai pris le soin de distinguer les propos des intervenants, entres guillemets, et mes propres commentaires. Si vous avez le moindre doute sur l’origine exacte de certains propos, ce qui m’étonnerait, n’hésitez pas à le signaler. Je me ferai un plaisir de compléter votre information.

GP

Jean-François Naton, Vice-Président de la Commission AT-MP de la CNAM-TS, son successeur au micro, poursuit avec la même tonalité, et, revenant sur la Joie mise en exergue par Alexandre Jost et la Solidarité prônée par le Professeur Debout, avance un « Hymne à la Joie syndicale » pour remercier ce dernier d’avoir mis en avant la notion de solidarité, dont « la réaffirmation à un sens ».

Il souligne que, sur les constats et les objectifs à atteindre, « tout le monde est d’accord, et pourtant, hier (c’est-à-dire mardi : NDLR), la réunion sur la QVT a été un fiasco ». Il observe que, « dans la Salle, manquent les décideurs, c’est-à-dire le Patronat. Au-delà des débats, la force de mise en œuvre est de toute façon limitée ».

« La crise que nous traversons est telle qu’on ne peut pas ignorer le Travail car c’est par lui qu’on peut espérer gagner la bataille de l’Emploi. Or, même si on est bon sur le constat, les décisions prises ne donnent pas le sursaut indispensable en matière de Bien-être au travail et de Qualité de vie au travail ».

Pour lui, « la Politique de Santé doit être globale ; on ne doit pas séparer la Santé au travail et la Santé en général, car c’est par le Travail qu’on construit la Santé. L’univers du système de Santé au travail doit évoluer ; il faut vivre et travailler ensemble, ce qui conduit à s’interroger sur le moyen de faire que le système de Santé au travail soit couplé avec d’autres acteurs ».

« Il faut inventer un nouveau lieu, un nouveau temps. Pourquoi pas le CRPRP ? Il faut associer tout le monde, les chômeurs, les précaires… Il faut arrêter de donner toujours plus à ceux qui ont aux dépens de ceux qui n’ont pas. Cela signifie qu’un effort est demandé à tous et notamment aux… syndicalistes ».

Des propos « musclés », reproduits pratiquement in extenso, qui tranchent avec la ligne « molle » des Organisateurs des Rencontres, et, il faut le dire, avec les positions de la CGT elle-même sur la réforme de la Santé au travail, exprimées après le vote de la Loi du 20 juillet 2011 et la publication des Décrets du 30 janvier 2012, telles qu’elles ressortent notamment de la lettre co-signée avec la CFDT…

En total décalage aussi avec la ligne politique des Organisations patronales qui dirigent les Services de Santé au travail, ce qui conduit à se poser des questions sur la capacité qu’auront leurs représentants à gouverner ensemble les Services de Santé au travail… Même si, fort heureusement, des consensus apparaissent plus faciles à dégager sur le terrain, au plus près des Entreprises, des Employeurs et des Salariés « de base », comme je le constate dans les formations des membres des Commissions de contrôle que j’anime régulièrement, sur l’ensemble du territoire national.

Avec le Docteur Alexandra Moutet, Directrice des Initiatives Stratégiques de Santé de Abbvie Europe de l’Ouest et Canada, changement complet de registre. Après avoir présenté sa Société, issue des Laboratoires pharmaceutiques Abbott, elle précise que celle-ci soutient des programmes de Santé publique et dispose en particulier d’une grande expertise dans le domaine des maladies inflammatoires, dont les TMS. Elle est aujourd’hui engagée dans un vaste programme européen associant des partenaires prestigieux comme la Société Française de Médecine du travail et Sciences-Po. Se fondant sur les données statistiques disponibles, elle estime que les problèmes liés aux Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) sont bien plus importants que ceux liés aux Risques Psychosociaux (RPS), affirmation qui n’est pas sans rappeler le contenu d’un récent Rapport de la Cour des Comptes, lequel a fait l’objet d’un article sur notre site il y a quelques mois.

Suivent des exemples de pays européens, parmi lesquels l’Autriche, encourageant le retour au travail (sur la base du volontariat s’entend !) pour éviter l’absentéisme, dont chacun sait qu’il coûte très cher à l’Entreprise et à la Collectivité. Parmi les outils proposés, l’offre d’une consultation chez un spécialiste ! Offre qui, soit dit en passant, n’est pas sans rappeler le fameux « Ticket Psy » de sinistre mémoire…

Pour le Docteur Boutet, le système fonctionne dès lors qu’il y a de l’organisation entre les différents acteurs. Mieux, des économies considérables sont possibles dans les systèmes de protection sociale, ce qui justifierait d’ouvrir rapidement le débat sur le sujet…

Il ne m’a pas semblé que ces propos aient suscité beaucoup d’enthousiasme dans la Salle et à la Tribune, Jean-Frédéric Poisson précisant même dans la foulée qu’il y avait un problème de culture des acteurs en matière d’échanges et de dialogue : « C’est long »…

De l’intervention de Stéphane Pimbert, Directeur Général de l’INRS, visant à mieux faire connaître les activités de son Institut, organisée autour de 22 grands thèmes, on retiendra essentiellement son développement, essentiel au demeurant, relatif au problème du vieillissement de la population active, qui constitue un sujet de préoccupation majeur dont il n’est pas certain que l’on ait pris toute la mesure. J’ajouterai que, même si cela n’a pas été dit, ce vieillissement plaide en faveur d’un renforcement du volet médical de la Santé au travail alors que tout semble montrer, de la part des Pouvoirs Publics, la volonté d’une démédicalisation progressive du système.

Deux données illustrent parfaitement l’ampleur de la tâche à accomplir : 98 % des Entreprises sont des PME et TPE ; or, les CARSAT ne voient que 3 % des Entreprises chaque année ! C’est dire l’importance du programme de l’INRS en direction des PME et TPE. C’est dire aussi la nécessité du passage par les Branches professionnelles : à titre d’exemple, les garages automobiles sont au nombre de 90 000 au plan national, ce qui rend impossible toute action autre que collective.

Prenant le relais, Bernard Salengro, Médecin du travail et responsable du secteur Santé au travail, Conditions de travail et Handicap à la CFE-CGC, ancien Président du Conseil d’Administration de l’INRS, ne peut évidemment qu’approuver.

Il le fait à partir de la QVT, qui, selon lui, renvoie à certaines difficultés propres à la France, comme le manque de culture de la Prévention ou le manque de confiance dans l’Entreprise.

Pour remédier aux difficultés qui en résultent, il existe selon lui des structures parfaitement adaptées : les Services de Santé au travail, qui disposent tout à la fois des Professionnels et des Equipements nécessaires. Ils pourraient fort bien être un lieu d’échanges mais, pour cela, il faudrait une mise en œuvre effective de la loi.

Or, déplore-t-il, celle-ci souffre de graves dysfonctionnements : Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, n’aurait pour se battre qu’un « sabre de bois ».

La preuve ? L’agrément : contrairement aux dispositions légales et réglementaires en vigueur, contrairement aussi aux prescriptions contenues dans le dernier Rapport de la Cour des Comptes, « on peut fonctionner sans », et ce, sans encourir la moindre sanction, ce qui ne signifie pas sans prendre (ou sans faire prendre) de risques (on retrouvera le détail de cette position dans le dernier Communiqué de la CFE-CGC, objet d’un tout récent article publié sur notre site). Il déplore également l’absence de Présidence alternante à la tête des Services ainsi que le manque de mutualisation des moyens disponibles.

On est, selon lui, dans un système « perdant/perdant » : « Une armée existe mais elle n’est pas en état de marche »…

Les Risques psychosociaux représentent une urgence absolue par rapport à laquelle chacun doit se positionner car « aujourd’hui, on se suicide ! »

Dans la foulée, Paul Frimat, dont je me garderai de rappeler les multiples titres et activités tant ses casquettes sont nombreuses et connues de tous, commence son intervention par un « coup de gueule » dont il est coutumier, rappelant, en direction du Docteur Boutet, que « des choses se font », ce qui signifie en clair qu’on n’a pas attendu que des Laboratoires (j’ajouterais à titre personnel des Compagnies d’Assurances et autres prétendues Mutuelles) s’intéressent à la Santé au travail et aux TMS en particulier pour agir.

Ce que je partage.

Il ajoute aussitôt que « grâce à Guy Lefrand, on a une loi qui existe. N’en rajoutons pas une couche. Permettons-lui de vivre ».

Ce que je ne partage pas vraiment.

En effet, si nous avons effectivement une loi, qu’il convient évidemment d’appliquer au mieux, dont le Rapporteur à l’Assemblée Nationale était bien Guy Lefrand (présent au deuxième rang en qualité de Consultant-Stratégie Santé), alors qu’il était Député, en remplacement de son titulaire, Bruno Le Maire, Ministre de l’Agriculture, cela ne signifie pas que ce soit « grâce à lui » ni qu’elle soit bonne. Nous avons suffisamment dénoncé les conditions dans lesquelles elle a été préparée et votée, ainsi que ses insuffisances et ses défauts, pour ne pas nous sentir tenus de lui reconnaître aujourd’hui des vertus qu’elle n’a pas et qu’elle n’a jamais eues !

Revenant sur les Missions des Services (qui, elles, pour le coup, sont bien une avancée significative de la loi !), il constate que nous sommes dans une politique de Santé publique. « Un Laboratoire comme Abbvie est trop orienté « Grandes Entreprises » et pas assez « PME et TPE ». Il faut faire vivre les structures existantes, ce qui nécessite de positionner clairement les objectifs à atteindre, à partir de la demande ».

Reprenant une des critiques formulées par Bernard Salengro, il estime indispensable de revoir la politique d’agrément des DIRECCTE, qui est aujourd’hui « au petit bonheur la chance ». Puisque l’on est dans le cadre de la Santé publique, pourquoi n’envisagerait-on pas une accréditation comme pour les hôpitaux ? Pour avancer, « il faut un coup de pouce au niveau territorial », c’est-à-dire au niveau de la Région. Un effort est également indispensable en matière de Formation…

Il conclut son exposé par la seule question qui vaille : « Y a-t-il une volonté ? »

Question qui mériterait quelques précisions complémentaires selon moi : volonté de qui ? Volonté des Pouvoirs Publics bien sûr mais aussi volonté des Organisations patronales et des Organisations syndicales. Et c’est bien là que le bât blesse, comme le montrent l’attentisme du Ministère du Travail et les blocages à répétition dans les négociations entre Partenaires sociaux, sur la QVT en particulier.

La question de Paul Frimat, un brin provocatrice, est l’occasion pour Jean-Frédéric Poisson de « reprendre la main » : la réforme date de deux ans. Déjà ou seulement ? Il rappelle qu’elle s’est heurtée à des résistances, particulièrement celle des Médecins du travail, provoquant le tollé général des Médecins du travail et Médecins de Prévention présents, qui goûtent manifestement peu une présentation qui fait d’eux « les empêcheurs de réformer efficacement », étant manifestement sous-entendu que les Parlementaires, eux, savent réformer !

Il rappelle le lobbying qui s’est exercé sur les Députés, en ne précisant ni ses objectifs ni ses origines. Or, si un lobbying intensif a bien précédé le vote de la loi, je ne suis pas certain que ce soit celui auquel il fait référence… Une chose est sûre en tout cas à travers ses propos : pas touche au travail parlementaire !

Il évoque ensuite pêle-mêle un accord exemplaire sur les risques psychosociaux dans le Var, en 2011, ainsi que divers exemples dont il conviendrait de s’inspirer, au Québec en particulier, et, pour finir, l’écart considérable entre le nombre annuel de DUE, 30 millions, et la capacité de visites médicales des Services, 10 millions seulement selon lui.

En résulte une « sous-capacité » qu’il va falloir traiter… Soit, mais il ne propose aucune piste pour régler la question, qui ne saurait se résumer à un simple problème d’arithmétique ! 30 millions de DUE sont-elles nécessairement synonymes de 30 millions de visites ? Quid du devenir de la notion d’aptitude, qui sous-tend ce besoin de très nombreuses visites ? Qui doit les réaliser ? Des Médecins du travail spécialistes ou des Médecins de ville ? Et les Médecins Collaborateurs ? Et les Infirmiers de Santé au travail ? Et la pluridisciplinarité ? Et la formation de tous ces Professionnels ? Autant de questions essentielles laissées pour compte dans la loi et dans les textes d’application… Messieurs les Parlementaires, beaucoup de travail reste encore à faire par la faute d’un texte bâclé, voté, n’en déplaise à certains, dans la précipitation…

Dernière à intervenir dans cette première table-ronde, Martine Pinville, Députée de la Charente, Secrétaire de la Commission des Affaires Sociales, spécialiste de la Médecine scolaire, apparaît peu à l’aise sur le dossier de la Santé au travail. On partagera évidemment son plaidoyer en faveur de la Prévention, du passage d’une approche curative à une approche préventive. « Chacun travaille pour son temps alors qu’il faudrait mettre en place une forme de continuité », étant entendu que « mieux on préparera le terrain en amont, en parlant d’éducation pour la Santé dès l’école, mieux on pourra anticiper les problèmes de Santé liés notamment au vieillissement. »

Fin de la première table-ronde et début des commentaires et questions des participants, qui, c’est habituel, partent dans tous les sens : « Où sont les budgets alloués à la Prévention par rapport aux mots ? » ; « Quid de la formation des Médecins ? » ; « A qui profite le crime de la dégradation des conditions de travail ? » ; « Et la Fonction publique ? »…

Guy Lefrand, Rapporteur et ardent défenseur de la loi à l’Assemblée Nationale, déjà cité précédemment, surprend quelque peu en revenant sur le lobbying, précisant que « le lobbying le plus important est venu des techniciens du Ministère du Travail, qui n’y connaissent rien en Santé publique… ».

A bon entendeur salut !

Outre le fait qu’elle fera probablement plaisir auxdits « techniciens », cette phrase éclaire l’orientation choisie, mais pas vraiment expliquée, dès le départ, par les initiateurs de la réforme : « accrocher » la Santé au travail à la Santé publique. C’est ce qui explique (et ce qu’explique aussi) la référence faite aux Agences Régionales de Santé (ARS), qui suit immédiatement dans le propos de Guy Lefrand, dont il faut rappeler pour information qu’avant d’être Député, il exerçait la Médecine d’urgence. Ceci explique cela…

Créer des ponts entre Santé au travail et Santé Publique est une chose. Assujettir la Santé au Travail à la Santé publique en est une autre, surtout si cela signifie lui appliquer, sous la forme notamment de « Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens » et de « Projets de Service », les mêmes recettes que celles en vigueur dans le monde de l’Hospitalisation, dont on sait les brillants résultats !

Bernard Salengro revient ensuite sur le problème démographique que connaît la Médecine du travail : cela fait maintenant plus de 15 ans que l’alerte a été lancée, sans succès… D’où une nouvelle fois la question : « A qui profite le crime ? » Certainement pas aux Enseignants en tout cas, car leur nombre se réduit comme peau de chagrin, et, si rien n’est fait rapidement, la formation des futurs Médecins du travail cessera, faute de formateurs !

Pour Jean-François Naton, « on s’épuise financièrement à payer le coût du mal-travail. Il faut sanctuariser les budgets de la Santé au travail ». Il ajoute, avec une pointe d’ironie, que « la CGT n’est pas favorable à la création de nouvelles structures. Elle plaide plutôt pour certaines disparitions afin d’obtenir une efficience accrue ». Suit une longue tirade en forme d’appel à la mobilisation : « Il faut également plus de démocratie dans le fonctionnement des Services de Santé au travail. La consanguinité entre Organisations patronales et Services de Santé au travail doit cesser en donnant une place plus grande aux salariés. Il faut éviter de tomber dans la désespérance alors que, dans les Territoires, il y a une réelle prise de conscience de l’intérêt du « travailler ensemble ». Il faut que les Organisations patronales se bougent : il ne peut pas y avoir de dialogue si elles sont le pied sur le frein et sans réappropriation par les salariés ».

Bel élan d’enthousiasme, aussitôt quelque peu refroidi par l’intervention de Jean-Frédéric Poisson, en conclusion de cette première table-ronde, qui estime que « tant que le Patron sera responsable, en termes de résultat, rien ne changera ». Il ajoute même : « Quant à la Fonction Publique, elle est dans le même état, sinon pire ! »

Un sacré travail en perspective…

Il y a pourtant urgence à agir, ce que j’exprimerai en détournant une formule utilisée par un des intervenants : on ne peut pas dire « je me la mets sur l’oreille et je la fumerai plus tard », car, alors, malheureusement, il sera trop tard !

A suivre

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE avril 2013

Tableau et Photo GP

Tous droits réservés