Santé au travail : Recommandations de bonne pratique, état des lieux

La publication de l’arrêté allégeant les SMR, qui a été à l’origine de la chronique mise en ligne conjointement sur les sites d’actuEL-HSE et epHYGIE, L’allègement des SMR : une « mise à jour » nécessaire, excessive et… incomplète (GP : chronique actuEL-HSE), aura eu le mérite de libérer la parole sur la question et de révéler, comme je l’ai écrit, que le degré de couverture des risques professionnels par des « Recommandations de bonne pratique » validées par la Haute Autorité de Santé (HAS) – dont l’un des rôles est de « promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et des usagers de santé » -, est extrêmement faible, comme le prouve une visite du site de la HAS :  parmi les 84 Recommandations répertoriées (au 4  juillet 2012) dans le tableau reprenant l’ensemble des Recommandations de bonne pratique publiées par la HAS, une seule, ayant pour objet le Dossier médical en Santé au travail, validée en janvier 2009, concerne directement la Santé au travail !

Pour être complet, on doit y ajouter les Recommandations de bonne pratique ayant obtenu le label méthodologique de la HAS, 7 au total à ce jour, et celles répertoriées sur le site de la HAS mais non encore intégrées dans les deux tableaux cités, soit quatre Recommandations supplémentaires entrant dans le champ de la Santé au travail :

On peut encore citer :

  • la Qualité de vie au travail, page Web mise en ligne le 20/6/2012, qui ne saurait avoir pour l’instant valeur de Recommandation.

Sauf erreur ou omission de ma part (tout à fait possible dans la mesure où le site de la HAS ne brille ni par son ergonomie de conception, ni par son caractère didactique), le moins que l’on puisse dire est que le résultat de notre recherche est pauvre… et le retard affiché considérable.

La conscience de ce retard n’est pas nouvelle puisque, dans le Plan Santé au travail 2005-2009, le développement des connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel figurait parmi les priorités. Tout comme il figure aujourd’hui dans celles du Plan Santé au Travail 2010-2014, en cours de mise en œuvre.

Les ambitions affichées par les Pouvoirs Publics ne semblent malheureusement pas avoir été suivies d’effets vraiment probants, en dépit des travaux conduits depuis par l’ANSES (anciennement AFSSET), l’InVS,  l’INRS, et, d’une façon générale, les Organismes à vocation scientifique se situant dans le champ de la Santé au travail et de la Prévention des risques professionnels.

Les informations données par actuEL-HSE dans son édition du 25 juin confirment malheureusement cette impression, le (triste) constat pouvant en être fait à partir du site du CHU de Rouen (dont il convient de louer le travail), qui liste les Recommandations de la Société Française de Médecine du Travail (SFMT) – composée d’Universitaires, de Médecins du travail français et de correspondants étrangers –, laquelle est seule (pour l’instant au moins) à disposer de la légitimité scientifique permettant de proposer à la HAS, en vue de leur validation, des Recommandations ayant fait l’objet de consensus entre pairs.

Au total, ce sont moins de 10 situations de travail à risque qui sont réellement « couvertes » par des Recommandations de bonne pratique, une goutte de connaissances dans un océan d’ignorance !

On dénombre en plus 14 autres avis et recommandations émanant notamment du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), dont la moitié date de plus de 7 ans…

Cela ne signifie pas pour autant que les connaissances n’existent pas. Elles sont même très riches mais… éparpillées, et, dans la plupart des cas, non validées sur le plan scientifique, ce qui les rend pratiquement inutilisables. Assurer leur collecte, en faire la synthèse et en assurer la validation, voilà un chantier qui vaudrait d’être lancé mais qui en aura la volonté et… les moyens ?

C’est dans les pays anglo-saxons, et plus précisément aux Pays-Bas que l’on trouve les informations les plus étoffées, sous la forme des Recommandations de bonne pratique, actualisées en janvier 2010, 41 au total (en langue anglaise), élaborées par le Centre collaboratif Cochrane Occupational Health.

Cela signifie que, même là où la recherche apparaît la plus avancée, le déficit de connaissances demeure considérable (1).

Ces informations ne font que confirmer la « légèreté » avec laquelle ont été « nettoyées » les SMR.

Autre donnée essentielle : si les Pays-Bas apparaissent « en pointe », c’est parce que leur système de Santé au travail, qui a beaucoup évolué depuis 2005, est aujourd’hui très différent du système français, comme on peut le constater à la lecture des informations qui suivent, accessibles sur le site de l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (OSHA).

Aux Pays-Bas, l’employeur et les employés sont les principaux responsables de la politique de santé et de sécurité de l’entreprise. Au sein de l’organisation, ils concluent des accords entre eux sur les conditions de travail. Afin de mettre en place des réglementations adéquates en matière de santé et de sécurité, ils peuvent s’attendre à un soutien provenant des syndicats et de l’organisation du secteur. Depuis peu, aux Pays-Bas, les accords entre employeurs et employés au niveau du secteur sont inscrits dans un catalogue sur la politique de santé et de sécurité au travail (« arbocatalogus »). Il s’agit d’un ensemble de mesures et solutions parmi lesquelles les entreprises d’un secteur peuvent faire un choix afin d’être conformes aux règles.

Le gouvernement (Ministère des affaires sociales et de l’emploi) permet plus de flexibilité au sein des entreprises en vue de promouvoir de bonnes conditions de travail. La base de la procédure réglementaire est la loi relative à la politique de santé et de sécurité au travail (« Arbowet ») en combinaison avec l’accord (« Arbobesluit ») et la règlementation (« Arboregeling ») sur la santé et la sécurité au travail. Il revient à l’inspection du travail de mettre en application la loi et les procédures réglementaires. À ce niveau, le catalogue joue un rôle important. Une grande quantité de connaissances, d’informations et d’expériences convergent vers le point focal. Les représentants d’organisations des employeurs et des employés et l’État coopèrent au sein du point focal afin de rendre les informations européennes sur la santé et la sécurité au travail accessibles et compréhensibles à tous. Le point focal est dirigé par le TNO Kwaliteit van Leven (TNO Qualité de la vie).

On remarquera l’importance accordée au « point focal », dirigé par « TNO Qualité de la vie », qui renvoie directement au choix des thèmes de la toute prochaine Conférence sociale, dont la « qualité de la vie au travail », objet de l’article Réforme de la Santé au travail : gare au grand méchant (f)lou… (première partie), mis en ligne il y a quelques jours, et, on l’a vu plus haut, ce qui n’est assurément pas un hasard, de la page Web mise en ligne le 20/6/2012 sur le site de la HAS.

Il est évidemment hors de question de critiquer le système néerlandais, qui correspond aux choix souverains d’un autre Pays. Il convient simplement de se poser une question : est-ce ce vers quoi doit s’orienter notre propre système ? Elle mérite d’être sérieusement approfondie…

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE juillet 2012

Tous droits réservés

  • Pour accéder au site du CHU de Rouen recensant les Recommandations de la SFMT, cliquer ici
  • Pour accéder au Plan Santé au travail 2005-2009, cliquer ici
  • Pour accéder au Plan Santé au travail 2009-2014, cliquer ici.

(1) Nous reviendrons dans un autre article sur « la Santé au travail fondée sur les preuves » (Evidence based Occupational Health), développée conjointement aux Pays-Bas et en Finlande, dont la première présentation d’envergure en France avait eu lieu à mon initiative en octobre 2008. Elle pourrait en effet aider à combler en partie le déficit dont nous souffrons.

 

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