Santé au travail : les Services et les Professionnels au pied du mur ? (analyse du Discours de Monsieur Combrexelle)

On ne dispose pas encore du texte intégral du discours prononcé par Jean-Denis Combrexelle à l’ouverture du 32ème Congrès national de Médecine et Santé au travail qui s’est tenu la semaine dernière à Clermont-Ferrand en présence de quelque 2700 professionnels. L’article qui suit est le reflet des réflexions qu’il m’a inspirées, réflexions nourries également des échanges que j’ai eus sur place pendant toute la semaine avec les nombreux visiteurs qui se sont rendus sur notre stand.

Nous aurons bien évidemment l’occasion de revenir sur cette manifestation, succès indiscutable pour les Organisateurs, que je tiens à féliciter ici pour la qualité de leur travail, même si beaucoup de participants ont déploré que des questions essentielles pour l’avenir du système n’aient pas été abordées avec plus de clarté par ceux dont la responsabilité est de fixer les grandes orientations, proximité des Elections législatives oblige…

Du coup, la semaine s’est écoulée sans incident et… sans enthousiasme particulier, entre sérénité et indifférence, la plupart des Congressistes n’ayant finalement trouvé dans le Congrès ni véritable espoir ni raison de désespérer.

Il faudra donc attendre encore un peu pour en savoir plus sur les intentions réelles des Pouvoirs Publics, c’est-à-dire, pour être parfaitement clair, sur leur volonté de réformer la Santé au travail.

Une volonté qui, aujourd’hui, est loin de sauter aux yeux, comme le montre le commentaire qui suit…

GP

Le discours de Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, à l’ouverture du 32ème Congrès national de Médecine et Santé au travail de Clermont-Ferrand, était très attendu, à moins d’un mois de l’entrée en vigueur des décrets d’application de la loi du 20 juillet 2011. Même si, évidemment, personne n’en attendait de scoop, tant la période est particulière, et délicate, coincée entre Elections présidentielles et Elections législatives.

C’est ce que Monsieur Combrexelle, évidemment tenu par son devoir de réserve, a dit en termes choisis, précisant, sans faire allusion à l’agenda politique, que « le Congrès de Clermont-Ferrand a une place particulière, car il suit la réforme »…

Que son élaboration ait été difficile et ait suscité des inquiétudes, comme il l’a affirmé, c’est une évidence. C’est aussi et surtout (et, contrairement à lui, je suis autorisé à le dire) une vision édulcorée de la réalité…

L’élaboration dont il parle a commencé en juin 2008 (!) et les inquiétudes ne s’expriment pas au passé ; elles sont bel et bien présentes aujourd’hui et valent pour les années à venir.

Comme il l’a souligné, « l’heure est maintenant à la mise en œuvre de la réforme » et nul ne peut contester que celle-ci sera en premier lieu à la charge des Services et des Professionnels, Médecins du travail, IPRP, Infirmiers et Assistants, sous le contrôle des Pouvoirs Publics.

Pour autant, on aura beau affirmer que l’heure n’est plus à la critique de tel ou tel aspect de la réforme, et qu’il faut désormais l’appliquer (ce que le « légalisme » impose), lui donner de l’ampleur et l’évaluer, le problème essentiel est que, telle quelle, ladite réforme est (et restera) très « critiquable » et manque (et manquera toujours) de cette « ampleur », de cette « ambition » qu’on aurait aimé (et dû) y trouver.

« Les partenaires sociaux se sont impliqués dans la réforme » selon Monsieur Combrexelle et c’est la moindre des choses, mais que signifie exactement « s’impliquer » et jusqu’où leur « implication » est-elle allée ? S’il est impossible de répondre rapidement à ces questions, on peut malgré tout donner quelques clés de lecture : c’est à l’unanimité que, à la fin de l’année 2009, les Organisations syndicales ont rejeté le projet d’accord préparé par le MEDEF. C’est majoritairement que ces mêmes Organisations ont contesté le contenu de la loi du 20 juillet 2011 et des décrets du 30 janvier 2012. C’est enfin à une très large majorité (5 sur 6) que les Organisations syndicales représentant les Professionnels de Santé au travail ont dénoncé les lacunes de la réforme…

Le « ralliement » tardif de certaines Organisations syndicales dont a implicitement fait état Monsieur Krynen, Vice-Président du COCT, qui s’est exprimé juste avant Monsieur Combrexelle, ne peut suffire à masquer ces réalités, pas plus qu’il ne peut masquer l’opposition déterminée à la loi du 20 juillet 2011 des Formations politiques qui composent l’actuel Gouvernement, tout au long des Débats qui ont précédé son adoption, à l’Assemblée Nationale et au Sénat…

Dans ces conditions, il apparaît pour le moins « osé » de voir dans la réforme le résultat d’une vraie concertation, et tout à fait impossible de parler de consensus…

Pour ne pas bloquer le système, ce dernier devra naturellement être recherché au niveau régional et dans la gouvernance des Services de Santé au travail, comme le souligne à juste titre Monsieur Combrexelle, mais le dire, c’est montrer l’extrême difficulté de l’exercice, compte tenu notamment de la multiplicité et de la diversité des acteurs concernés, ainsi que du contexte économique et social particulièrement complexe dans lequel se situe la réforme en cours.

« Chaque institution a son histoire ; il faudra travailler ensemble : c’est la clé de la réforme » affirme Monsieur Combrexelle, et, dans l’absolu, nous ne pouvons évidemment que partager son point de vue.

Encore faut-il que les moyens nécessaires soient présents et qu’ils soient en adéquation avec les besoins des Entreprises et des Salariés. Et c’est bien là le problème : quoi qu’en disent ses zélateurs, partisans de la première heure ou ralliés de dernière minute, le cadre légal et réglementaire en vigueur à partir du 1er juillet prochain est et restera inapproprié, et ce n’est pas en insistant sur l’importance de la qualité du travail dans la productivité des Entreprises, ou encore l’importance de l’échelon régional, qui sont des évidences, qu’on modifiera ce constat.

Dans le même ordre d’idées, affirmer que les acteurs de la Santé au travail (au premier rang desquels se trouvent évidemment les Services, et, en leur sein, les Médecins du travail) occupent une place centrale, peut faire plaisir ou rassurer mais ce n’est en aucun cas un gage de réussite.

Pas plus d’ailleurs que les Projets de Service ou les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM) signés avec les DIRECCTE et les CARSAT, après avis des ARS, dont on semble faire aujourd’hui l’alpha et l’oméga des progrès du système, alors qu’ils sont de simples outils, utiles certes mais objectivement limités.

Si, comme le dit Monsieur Combrexelle, « la réforme est un acte de confiance vis-à-vis de la Médecine du travail », ce que je veux croire, cet « acte de confiance » peut également être interprété différemment : en distinguant clairement le rôle de l’Etat et celui des acteurs de terrain, en insistant sur la responsabilité des Services de Santé au travail et des Médecins du travail dans la réussite de la réforme, en affirmant que cette dernière a pour enjeu de faire des Médecins du travail et des Services de Santé au travail des acteurs légitimes, actifs et reconnus, à l’écoute des salariés, en leur donnant une capacité d’agir (comme si ce n’était pas le cas depuis de nombreuses années !), Monsieur Combrexelle ne manifeste-t-il pas en réalité une certaine « défiance » à leur égard et ne les met-il pas de facto « au pied du mur » ?

En clair, ne peut-on interpréter ses propos comme une mise en garde, presque l’expression d’une « dernière chance » ? Les Pouvoirs Publics ont fait leur travail, à vous de faire le vôtre !

Sans doute a-t-il une nouvelle fois raison dans l’absolu mais comment « donner un nouvel élan à la Médecine du travail » si les moyens qu’on lui accorde sont insuffisants ou inadaptés ?

Comment faire du bon travail avec de mauvais outils ?

L’affirmation selon laquelle « l’idéal n’a de sens que si, derrière, il y a de l’action », aussi porteuse de promesses qu’elle paraisse, peut être interprétée comme jetant le doute sur la capacité des acteurs à agir et renvoie en fait à ces derniers toute la responsabilité d’un éventuel échec. Ce dernier marquerait la mort du système actuel et serait sanctionné par l’avènement d’une nouvelle organisation, qui, ce n’est un secret pour (presque) personne, comblerait les vœux de toutes les Organisations qui aspirent, ouvertement ou non, au rattachement de la Santé au travail à la Sécurité Sociale.

Il sera alors trop tard pour défendre ou regretter quoi que ce soit car la voie « assurantielle » (qu’elle soit publique et/ou privée) dans laquelle on aura engagé le système sera probablement définitive, au grand dam de ceux qui auront, par leur refus de voir la réalité en face et/ou la maladresse de leurs interventions, contribué à fourvoyer son évolution.

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE juin 2012

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  • Pour en savoir plus sur le détail du Congrès, il suffit de se rendre sur le site de l’ISTNF, qui avait dépêché sur place une équipe nombreuse, à la fois pour couvrir l’événement et assurer la promotion du prochain Congrès, qui se tiendra à Lille en 2014.

 

2 Comments

Michel Blaizot

Les propos de Mr Combrexelle rappellent étrangement ceux tenus par son prédécesseur, Mr Marimbert, dans les années 2000. La DRT battait alors les estrades, affirmant que la réforme réglementaire de 2004 allait permettre à la santé au travail de « changer de braquet ». Déjà, il s’agissait en cas d’échec de dédouaner l’Etat de toute responsabilité. On connaît la suite et comment la réforme de 2004 s’est fracassée sur le mur de la « formalité impossible ». C’est aux mauvais choix de l’administration, notamment concernant la pénurie de médecins et l’organisation de la pluridisciplinarité, qu’il faut imputer cet échec. Gageons que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la réforme législative et réglementaire de 2011/2012 subira le même sort.

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