Santé au travail et pratiques addictives en milieu de travail

Dans son avis n°114 relatif à « L’usage de l’alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail. Enjeux éthiques liés à leurs risques et à leur détection », rendu public le 19 mai 2011, le Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) pour les Sciences de la vie et de la santé, saisi par la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) sur « la possible utilisation du dépistage des produits illicites en milieu de travail », conclut en des termes qui ne manquent pas de soulever de nouvelles interrogations :

« Suite à la question soulevée par la saisine de la MILDT sur la « possible utilisation du dépistage de produits illicites en milieu de travail », le CCNE énonce la réponse suivante :

A condition d’être uniquement une intervention dérogatoire de la société dans l’exercice des libertés individuelles, le dépistage médical de l’usage des produits illicites en milieu de travail est acceptable au plan éthique. Souhaitable et justifié pour les postes de sûreté et de sécurité, ce dépistage devrait être élargi pour ces mêmes postes à l’abus et même à l’usage de l’alcool. Le CCNE estime néanmoins qu’une généralisation du dépistage banaliserait la transgression du devoir de respecter la liberté des personnes. »

Cette réponse est suivie de quatre recommandations, dont elle est indissociable :
1. Pondérer les valeurs éthiques en jeu
2. Accorder à la société, sur un plan général, le droit d’obliger ses membres à devoir se protéger contre eux-mêmes
3. N’exercer le droit de regard de la société sur les décisions personnelles que lorsque celles-ci entraînent des risques qui affectent directement la santé ou la vie d’autrui
4. S’assurer que toute personne qui exerce un métier à un poste de sûreté et de sécurité nécessitant un haut degré de vigilance permanent doit avoir été préalablement et dûment informée qu’elle pourra faire l’objet d’un dépistage de prise d’alcool ou de produits illicites.

Le CCNE propose en outre cinq pistes à explorer :
1. Promouvoir une large campagne d’information
2. Mettre en place de nouveaux enseignements
3. Conduire la mise en place des « Services de santé au travail »
4. Respecter l’éthique du partage entre vie privée et vie au travail en privilégiant la négociation collective
5. Valoriser le sens social du travail.

Si toutes ces pistes sont d’un grand intérêt, les précisions données dans la troisième, relative à la mise en place des Services de Santé au travail, étonnent, comme si la réforme de la Santé au travail était déjà acquise alors qu’elle est encore dans les limbes :

  • Veiller à la bonne intégration des compétences pluridisciplinaires et au respect du code de déontologie médicale tout particulièrement en ce qui concerne la confidentialité et le secret ; pour ce faire, il est urgent d’inclure des enseignements spécifiques « santé au travail » dans les formations d’infirmier(e)s d’ergonomes, d’ingénieurs sécurité, de psychologues cliniciens, etc. ; il faut permettre aux médecins du travail, formés et en formation, d’acquérir des savoir-faire en matière de coordination et de management d’équipes ;
  • Conforter la réalisation de leur double mission : veiller à la santé des salariés et intervenir sur la sécurité des conditions du travail, à tous les niveaux d’organisations de la médecine du travail (service d’entreprise, inter-entreprise, cabinets de groupe…), des entreprises de toute taille, et des différentes fonctions publiques ;
  • Assurer le maintien et le développement, face aux réformes en cours, des moyens humains et matériels du service d’intérêt général qu’est la médecine du travail ;
  • Se préoccuper de renforcer l’attractivité de la spécialité « Médecine du travail.
Par ailleurs, comme le soulignent Sophie Fantoni-Quinton – CHRU Lille 2,  Médecin du travail, Docteur en Droit, et Céline Czuba – ISTNF, Juriste Droit social, Droit-Santé-Travail, dans leur excellente analyse, disponible sur le site de l’ISTNF, la réponse du CCNE laisse planer certains doutes sur la nature du dépistage, les conditions dans lesquelles il pourrait être réalisé, et, précisément, la « contribution » des Services de Santé au travail.

Leur conclusion, selon laquelle « la position du CCNE ne semble actuellement pas suffisamment pragmatique pour améliorer les pratiques quotidiennes en santé au travail » apparaît pour le moins « prudente ».

Gabriel PAILLEREAU

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