S’il vous plaît, dessine-moi la Justice…

Pour peu que l’on guette les « dernières nouvelles », répétées à l’infini sur les chaînes télé et les stations radio d’information en continu, pas un jour, pas une heure ne s’écoule sans que l’on apprenne que, tout près de nous ou à l’autre bout du Monde (mais le Monde n’est plus qu’une simple bourgade, où l’information circule plus vite que dans n’importe quel village bien de chez nous, il y a moins de 10 ans, c’est-à-dire une éternité !), « quelque chose » mérite d’être porté à la connaissance de la Terre entière.

Le fatras d’informations dont on nous gave est tel que, la plupart du temps, comme tout sens critique semble avoir disparu, l’essentiel se trouve noyé dans le futile et c’est ce dernier qu’on nous assène comme étant l’essentiel. Rien de surprenant donc à ce que, dans ce contexte, l’attachement que certains d’entre nous ont pour certaines Valeurs, comme le Courage, la Générosité, la Confiance, le Respect de la parole donnée, l’Ethique, la Justice, etc., soit considéré comme suspect, anachronique, dépassé, et, pour tout dire, inutile !

Du coup, pratiquement personne aujourd’hui ne trouve anormal que la sortie « mondiale » d’une nouvelle console de jeu, le « prodigieux » 3-0 de l’équipe de France de football face à l’Ukraine ou la « grâce » accordée par le Président des Etats-Unis à une dinde à l’occasion de Thanksgiving soient « à la une », traités à égalité avec la catastrophe que viennent de subir les victimes de l’ouragan qui a balayé les Philippines, le génocide en cours en Syrie ou celui à venir en Centrafrique…

Même si je sais depuis longtemps qu’1 mort est un drame, 100 morts sont une catastrophe et 100 000 morts une statistique, je ne parviens toujours pas à me faire à une comptabilité aussi cynique et sordide.

Quel est généralement le traitement actuel de la plus grande partie de l’information, celle dont on se contente la plupart du temps ? Une présentation d’une poignée de secondes, quelques minutes tout au plus, des images-choc si possible, des témoignages donnant l’illusion du contradictoire, le recours à des « sondages » d’opinion réalisés en direct, censés représenter la « vox populi », sans recul ni garantie de représentativité, via les incontournables réseaux sociaux, considérés comme l’alpha et l’oméga de la quête de vérité, et la messe est dite : qu’une information soit présentée comme « importante » et sa « vedette » se retrouve aussitôt portée au pinacle ou vouée aux gémonies !

Aucun domaine n’échappe à cette nouvelle forme d’« information/justice » expéditive. C’est tout particulièrement le cas dans certaines émissions télévisées, où, par la présence d’un public parfois agressif et vociférant, elle donne naissance à de modernes jeux du Cirque que beaucoup considèrent, à tort, comme un parangon de Démocratie.

Qu’importe la justesse du propos, qu’importe la Vérité puisque le spectacle est là, et, preuve « audimatique » à l’appui, attire et satisfait le plus grand nombre !

Les spectateurs se chargent de l’Instruction, partiale, de la Défense, sommaire, et du Jugement, impitoyable… Généralement enfermés dans les certitudes qu’on leur a imposées, inconscients de la manipulation dont ils sont victimes !

De cette Information qui désinforme (laquelle, fort heureusement, n’a pas fait disparaître celle qui privilégie le fond par rapport à la forme) à la Justice, à laquelle elle tend à se substituer de facto, il n’y a qu’un pas…

Et la Justice, précisément, la vraie, dans tout cela ? Elle n’échappe malheureusement pas aux effets du culte ambiant de l’immédiateté, présentée comme synonyme d’efficacité.

Même s’il convient de lui rendre globalement hommage, force est de reconnaître que faute de moyens, pressée par le temps, parfois abusée par des conclusions bourrées d’informations sciemment calomnieuses, tronquées, mensongères, elle est parfois condamnée, soit à bâcler le jugement de certaines affaires, soit à le différer, parfois pendant des années, par la faute de procédures souvent utilisées à des fins purement dilatoires, au détriment des intérêts de justiciables de plus en plus fragiles, paniqués, après avoir été déjà victimes de situations ou de décisions iniques, à l’idée d’être broyés une seconde fois.

Comme probablement beaucoup de citoyens qui se veulent acteurs et responsables de leur vie, je me surprends à rêver, pour mes enfants et petits-enfants, d’une Société retrouvant ses repères, et, tel le Petit Prince, à demander au Pilote adossé à la carlingue de son avion accidenté, quelque part dans le désert du Sahara :

« S’il vous plaît, dessine-moi la Vérité…
S’il vous plaît, dessine-moi le Courage…
S’il vous plaît, dessine-moi la Justice…
S’il vous plaît, dessine-moi… »

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 5 décembre 2013
Dessin d’Arthur : « Le Petit Prince »
Photo GP
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