Réforme de la Santé au travail : gare au grand méchant (f)lou… (première partie)

A quelques jours du 1er juillet, date d’application de la réforme de la Santé au travail, il apparaît utile de faire le point sur la situation, tant les messages qui nous parviennent de toutes parts apparaissent imprécis, voire totalement contradictoires. C’est l’objet de cet article, Gare au grand méchant (f)lou, que j’ai choisi de présenter en deux parties en raison de la densité de son contenu, et, par voie de conséquence, de sa longueur inhabituelle.

Gabriel Paillereau

Alors que la mise en œuvre de la réforme est imminente, de grandes incertitudes existent sur les conditions de son application. Les discours de Monsieur Combrexelle, Directeur Général du travail, et de Monsieur Krynen, Vice-Président du COCT, n’ont en rien éclairé l’avenir, bien au contraire, comme nous l’avons montré dans un précédent article, Santé au travail : les Services et les Professionnels au pied du mur ? (analyse du Discours de Monsieur Combrexelle).

Les choses ne se sont pas vraiment décantées depuis, et, en l’absence de prise de position officielle du Ministère, seules l’attention et la curiosité peuvent permettre d’essayer de comprendre où l’on va.

Parmi les informations disponibles, on trouve bien évidemment celles relatives à la Conférence Sociale des 9 et 10 juillet prochains. Rappelons que c’est le 5 juin que le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, a reçu les partenaires sociaux pour une conférence de méthode, en vue de préparer cette Conférence, qui se tiendra au Palais d’Iéna, siège du Conseil Economique, Social et Environnemental. Sept tables rondes thématiques ont été prévues ; présidées par un ou une Ministre et une personnalité compétente dans le domaine concerné, elles porteront sur :

  • l’emploi, et tout particulièrement la priorité de l’emploi des jeunes ;
  • la formation professionnelle, initiale et tout au long de la vie ;
  • la rémunération et le pouvoir d’achat ;
  • le redressement de l’appareil productif national ;
  • l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et la qualité de vie au travail ;
  • l’avenir des retraites et le financement de la protection sociale ;
  • l’Etat, les puissances publiques, les collectivités et le service public.

La Conférence, ouverte le 9 juillet par le Président de la République, sera conclue le 10 juillet par le Premier Ministre, qui, après ces deux jours d’échanges, donnera « l’agenda précis, les matières, les méthodes et le calendrier », a indiqué Michel Sapin, soulignant par ailleurs que « la grande conférence sociale, c’est le début d’un processus », selon la présentation qui en est faite sur le site du Ministère.

Si l’on observe dans le détail les thèmes abordés, un constat s’impose : ni la Médecine du travail, ni la Santé au travail n’y apparaît en clair. En revanche, le cinquième thème abordera la « qualité de vie au travail », dont on peut penser que, dans l’esprit du Ministère et des Partenaires sociaux, elle comprend la Santé au travail…

Plusieurs commentaires viennent immédiatement à l’esprit :

  • la Santé au travail (couplée à la Prévention des risques professionnels) ne pouvait-elle constituer un thème en soi, compte tenu de la dégradation manifeste de nombreux indicateurs ?
  • la « qualité de vie au travail » serait-elle devenue le tout nouvel habit de la Santé au travail ?
  • la notion de « qualité de vie au travail », d’origine anglo-saxonne, peut-elle être imposée comme un substitut à celle de Santé au travail sans que l’on ait au préalable réfléchi sérieusement aux forces et faiblesses de la Santé au travail elle-même ?
  • l’utilisation du terme même de « qualité », si l’on n’y prend garde, ne renvoie-t-il pas, de façon subliminale, à des références très éloignées de nos préoccupations, qui sont celles de la normalisation. En fait, de façon implicite, elle peut donner à penser que la mise en place d’un « système qualité » pourrait être synonyme d’amélioration de la « Qualité de vie au travail » (et, partant, de la Santé au travail elle-même). Autant le dire tout net, une telle vision, tout à la fois technocratique, simpliste et désincarnée, en dépit des apparences, est tout simplement mensongère.

On notera néanmoins que cette notion et ses variantes semblent désormais bien ancrées dans le jargon de nos dirigeants puisque, lors des 2èmes Rencontres Parlementaires qui ont eu lieu le 2 février dernier à la Maison de la Chimie, dont nous avons rendu compte dans Rencontres parlementaires sur la Santé au travail (1) : une réforme à l’avenir incertain ?, Monsieur Combrexelle et les autres intervenants n’avaient cessé de parler de « Bien-être au travail », notion très proche de celle de « Qualité de vie au travail », et, dans son discours de Clermont-Ferrand, Monsieur Combrexelle avait enfoncé le clou en affirmant que « c’est dans la qualité de vie au travail que réside la productivité des entreprises et des organismes publics… »

On ne saurait dire les choses plus clairement…

La qualité de la vie au travail serait donc la source même de la productivité, celle-ci étant ainsi posée comme étant la principale exigence, dans le Secteur public comme dans le Secteur privé : qu’il y ait du vrai dans la relation entre les deux, on ne peut le contester, mais présenter les choses ainsi revient en réalité à n’envisager la « qualité de vie au travail » qu’à travers le prisme de l’Economie, comme si elle ne pouvait pas se justifier en soi, dans une approche humaniste de l’Entreprise, à l’opposé de l’approche utilitariste et productiviste actuelle.

Puisque, de toute façon, on n’échappera pas à au débat sur la qualité de vie au travail, il est intéressant de savoir ce qu’en pensent les partenaires sociaux, et, en premier lieu, les deux principales Organisations syndicales, CGT et CFDT, dont nous savons qu’elles se sont ralliées à la réforme en des termes que nous avons longuement commentés dans un précédent article, Elections présidentielles : mais où est donc passée la Santé au travail ?

La CGT a fait connaître sa position sur chacun des 7 thèmes de la Conférence sociale dans un document rendu public récemment, dont on trouvera ci-dessous l’extrait relatif au thème concernant la qualité de vie au travail :

4) Egalité professionnelle notamment entre femmes et hommes. Qualité de vie au travail, organisation du travail

Ce que la CGT propose :

- faire appliquer les lois sur l’égalité professionnelle et sanctionner tout défaut d’application,

- appliquer une rémunération égale pour un travail de valeur égale,

- gagner une loi dans la fonction publique,

- porter le Smic à 1 700 euros car 80 % des salariés payés au Smic sont des femmes,

- examiner l’impact de chaque loi et décret sur la situation des femmes,

- développer le service public d’accueil des jeunes enfants, la scolarisation dès 2 ans et des services péri scolaires,

- faire progresser l’emploi stable et à temps plein,

- transformer le cadre dans lequel s’exerce le travail : sens, reconnaissance et conditions de sa réalisation.

Comme on peut le constater, la CGT s’en tient à des généralités, et, dans la présentation même du thème, on ne trouve nulle trace de la Santé au travail.

Ce n’est que dans ses propositions complémentaires, relatives à la réforme du système de santé, que la CGT, tout à la fin (pour ne pas dire in extremis), évoque la Médecine du travail (et non la Santé au travail).

Une réforme de notre système de santé :

- garantir l’égalité d’accès aux soins,

- stopper les dépassements d’honoraires, réguler l’installation des professionnels,

- développer le service public hospitalier et les centres de santé,

- former des professionnels de santé,

- garantir l’indépendance de la recherche publique face à l’industrie pharmaceutique,

- redonner les moyens et un rôle central à la médecine du travail.

La CFDT s’est elle aussi exprimée  dans un long document, qui, curieusement, ne reprend pas tels quels les thèmes à l’ordre du jour de la Conférence Sociale.

On trouvera ci-dessous l’extrait relatif à la Vie au travail et à la Santé au travail :

VIE AU TRAVAIL, SANTÉ AU TRAVAIL

Constats

- une sinistralité toujours préoccupante avec des accidents du travail qui stagnent, une progression continue du nombre de maladies professionnelles liée essentiellement aux TMS en fréquence et à l’amiante en gravité.

-la persistance des risques psychosociaux, médiatisés dans les entreprises les plus grandes mais répandus dans l’ensemble des entreprises de tous les secteurs comme dans les fonctions publiques.

-une désinsertion professionnelle en progression en raison des inaptitudes liées à la santé qui augmentent avec en regard un dispositif de maintien dans l’emploi mal organisé et peu efficace.

-une conciliation des temps de vie personnelle et professionnelle de plus en plus difficile en raison des nouvelles formes d’organisation du travail et de la non prise en compte des évolutions sociétales.

-des conditions de travail dégradées dans les fonctions publiques où l’Etat et les collectivités employeurs ne s’appliquent pas les même règles que celles du secteur privé.

-un net désavantage en termes de niveau de risques et de qualité de la prévention pour les plus petites entreprises.

-une inégalité entre les hommes et les femmes au détriment de celles-ci en matière de sinistralité liée au travail.

-un dispositif de réparation des ATMP de plus en plus inéquitable.

-un dispositif de prévention de la pénibilité incomplet et formel qui ne prend pas en compte l’anticipation des parcours professionnels pour limiter les durées d’exposition.

-une compensation de la pénibilité qui ne prend pas en compte les effets différés et le différentiel d’espérance de vie.

-une réduction des moyens mis par l’Etat dans la prévention des risques professionnels

Objectifs et Propositions

-revoir la prévention et redéfinir le rôle et la place respective de l’Etat et des partenaires sociaux.

-renforcer l’influence et les moyens du Coct.

-revoir le dispositif de réparation des ATMP.

-mettre en place dans les TPE le droit à une représentation syndicale.

-dégager des marges de possibilité d’implication des salariés sur leur travail et continuer la réflexion sur l’organisation du travail.

Méthode

-tenir une conférence tripartite sur la santé au travail intégrant les fonctions publiques pour redéfinir le rôle des acteurs et redynamiser la santé au travail.

-ouvrir une négociation sur la réparation intégrant la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l’emploi.

-poursuivre la négociation sur la QVT et l’égalité professionnelle.

-sur la pénibilité : légiférer sur une réduction de la durée de cotisation pour les salariés exposés aux pénibilités puis bâtir un dispositif de compensation à intégrer dans le cadre de la réforme des retraites.

Si l’on ne peut nier la pertinence du constat établi par la CFDT, on est en revanche en droit de s’étonner que la Santé au travail soit aussi peu mise en avant.

En résumé, la CGT souhaite « redonner les moyens et un rôle central à la médecine du travail » et la CFDT, elle, « tenir une conférence tripartite sur la santé au travail intégrant les fonctions publiques pour redéfinir le rôle des acteurs et redynamiser la santé au travail »…

Le moins que l’on puisse dire, au vu de ces prises de position minimalistes, très « distanciées » par rapport à la réforme, et même si la Qualité de vie au travail et la Santé au travail sont évidemment citées dans les propositions des deux principales Organisations syndicales, est que la Santé au travail n’est manifestement pas une préoccupation de premier plan…

(A suivre : la deuxième partie de cet article sera mise en ligne dans quelques jours)

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE juin 2012

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