Les Cotisations de Santé au travail : un dossier refermé avant même d’avoir été ouvert (GP en partenariat avec actuEL-HSE)

Les cotisations de Santé au travail sont au coeur du fonctionnement des Services interentreprises de Santé au travail. Ce n’est donc pas un hasard si elles occupent une place importante dans la Circulaire du 9 novembre 2012.

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder la question dans un précédent article, Santé au travail : le retour aux cotisations per capita annoncé par la Circulaire, un choix absurde ?

Nous y revenons, à la lumière du tout récent Rapport de la Cour des Comptes, dans un nouvel article également mis en ligne sous forme de Chronique, aujourd’hui même, sur le site d’actuEL-HSE.

Sans doute la question ne peut-elle pas être considérée comme étant traitée à fond pour autant, ce qui nous conduira à en reparler bientôt.

Gabriel Paillereau

La répartition des charges proportionnellement aux effectifs : une solution « simple » à l’origine, « simpliste » aujourd’hui

La Loi (article L. 4622-6 du Code du travail, antérieurement article L. 241-1) met à la charge des Employeurs « les dépenses afférentes aux services de santé au travail » et précise que « dans le cas de services communs à plusieurs entreprises, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés ». Probablement le meilleur (parce que le plus simple) quand la Médecine du travail a été créée, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ce principe, adapté à la période de « reconstruction », reposait de facto sur un constat : la contrepartie quasi exclusive de la cotisation demandée aux Employeurs était le suivi médical des salariés, ou, pour être plus précis, LA visite annuelle, prestation à la fois individuelle et standardisée. Il n’y avait ainsi aucune raison de mettre en place un système plus élaboré, qui, de surcroît, n’aurait probablement pas été compris de la part d’Employeurs à qui on imposait une Institution qu’aucun autre pays au monde n’avait encore mise en place.

La Médecine du travail, devenue Santé au travail, a souffert très longtemps (et souffre encore) de cette « assimilation/réduction » de la cotisation à la visite médicale, alors que notre Pays a profondément évolué depuis sur tous les plans, sanitaire, économique, social, etc., et que les besoins de Santé au travail n’ont plus rien à voir avec ceux des « Trente Glorieuses ».

Le choix des cotisations en pourcentage des salaires plafonnés : une évolution « naturelle » du système

C’est donc tout naturellement que le mode de calcul des cotisations de Médecine du travail a évolué. Cette évolution n’a été qu’une réponse à la complexité croissante de la Santé au travail, marquée notamment par l’augmentation des contraintes et l’alourdissement des charges, nécessitant de la part des responsables des Services interentreprises la recherche d’un système de cotisations plus « moderne » permettant de garantir des ressources suffisantes, en sortant de la simple division des dépenses par le nombre de salariés et en se libérant de la nécessité de discuter chaque année le niveau des cotisations, pour s’orienter vers une cotisation en pourcentage des salaires, au risque de créer une nouvelle « assimilation/réduction », la Médecine du travail étant un service de l’Entreprise et non une charge sociale.

C’est ainsi que sont apparus et cohabitent aujourd’hui trois grands systèmes (per capita, en pourcentage et mixte), qui, du fait des aménagements et subtilités propres à chaque Service, sont devenus d’une illisibilité totale, parfaitement mise en lumière par la Cour des Comptes, qui rappelle à juste titre la tentative (infructueuse) de l’Administration de mettre un peu d’ordre, en 1995. Quant au tarif unique du Protocole d’Accord pour le suivi des travailleurs isolés (auquel je ne suis pas étranger), que la Cour des Comptes présente en quelque sorte comme une « référence », il n’est pas inutile de rappeler qu’il a souffert longtemps des critiques répétées de nombreux MIRTMO, opposés à son application…

Le résultat : une multiplication d’usines à gaz à laquelle l’Administration n’est pas étrangère

Cela signifie que, depuis, la situation n’a fait que se compliquer davantage encore, la suppression de la visite annuelle obligatoire pour tous (qui est allée de pair avec l’avènement de la pluridisciplinarité) ayant conduit de plus en plus de Services à opter pour la solution, réputée plus confortable (mais dont la mise en place est assez périlleuse dans les faits), des cotisations en pourcentage des salaires plafonnés, en l’assortissant le plus souvent de dispositions « correctives », notamment sous la forme de « cotisations plancher » et de « cotisations plafond », pour limiter le risque de percevoir des cotisations insuffisantes eu égard à la réalité des charges (du fait par exemple de la multiplication des temps partiels et d’un turn-over croissant) ou excessives par rapport à la réalité des risques ou au niveau réel de la prestation offerte (dans les Entreprises à faibles risques et/ou à haut niveau de rémunérations).

Justifiée ou non, critiquable ou pas, cette évolution sur laquelle l’Administration semble vouloir revenir, comme le montre la Circulaire du 9 novembre, a bien été acceptée par elle depuis plus de trente ans sans que cela constitue à ses yeux un motif de retrait d’agrément !

J’en veux pour preuve les termes de la question posée par un Député, M. René de Branche, publiée au JO Questions et Réponses – Assemblée Nationale du 18 août 1980, page 3592 :

« Selon l’article L. 241-4 du code du travail, les dépenses afférentes aux services communs à plusieurs entreprises doivent être réparties proportionnellement au nombre des salariés. Compte tenu de ces prescriptions, il s’étonne de ce que certains organismes calculent les cotisations de leurs adhérents sur la masse salariale et lui demande de bien vouloir lui préciser sa position sur ce point »,

Et… la réponse ministérielle datée du 9 juin 1980, rappelée ci-après, qui lui avait été donnée par Jean Mattéoli, alors Ministre du Travail et de la Participation dans le Gouvernement de Raymond Barre :

« Si les dispositions de l’article L. 241-1 du code du travail ont posé le principe d’une répartition des dépenses afférentes aux services médicaux du travail interentreprises entre les diverses entreprises adhérentes proportionnellement au nombre de salariés, elles n’ont rependant fixé ni les modalités de calcul des cotisations ni celles de leur répartition. Les cotisations des entreprises adhérentes  peuvent donc être fixées soit sur une base forfaitaire  par salarié, soit selon un pourcentage des salaires, par le conseil d’administration de l’organisme, après avis du comité interentreprises prévu à l’article R. 432-9 ou à défaut de la commission de contrôle prévue à l’article  R. 241-15, sous la surveillance desquels fonctionne le service médical du travail. Les deux systèmes de calcul des cotisations sont l’un et l’autre utilisés depuis de nombreuses  années et ne semblent pas avoir posé, à  ma connaissance, de problèmes. »

On ne saurait être plus clair.

Comment faire évoluer le système ?

Ces précisions étant données, que l’Administration s’interroge aujourd’hui sur les cotisations est non seulement légitime mais indispensable. Qu’elle le fasse à travers le rappel, via une simple Circulaire, d’un principe, certes « légal », mais qu’elle a largement contribué à « tuer » elle-même, apparaît en revanche pour le moins curieux, voire déplacé.

La question du financement faisait (et fait toujours) partie des questions majeures à traiter dans le cadre de la réforme. Ce n’est pas par hasard que, dans la première mouture du « Plan Santé au travail 2005-2009 » voulu par Gérard Larcher et Jean-Louis Borloo, puis dans le premier projet de réforme de la Santé au travail soumis pour avis aux partenaires sociaux, en juin 2008, par Xavier Bertrand, alors Ministre du travail, elle ait été présentée comme prioritaire.

Force est de constater qu’ils n’ont pas été entendus, comme l’a souligné une fois encore la Cour des Comptes, qui a longuement détaillé dans son Rapport les conséquences des contradictions et du laxisme des Pouvoirs publics en la matière.

Il y a, pour de multiples raisons, nécessité de se pencher sérieusement sur le dossier mais l’envisager sous le seul angle d’un retour au système per capita, comme le fait l’Administration, revient à ignorer l’essentiel. Comment imaginer en effet que cela puisse permettre de régler toutes les questions en suspens, qui concernent non seulement l’assiette et le niveau des cotisations mais encore leur perception, les prestations offertes en contrepartie, dans le respect des principes fondamentaux de responsabilité des Employeurs et d’équité dans la répartition des charges, ainsi que les modalités de leur prise en charge (mutualisation partielle ou totale), et, d’une façon générale, le contrôle de leur utilisation, pour ne citer que quelques-unes des pistes à explorer.

Même si les Lois et Décrets qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années ont permis des avancées très importantes, rendant notamment plus transparents le financement et la gestion des Services, d’une façon générale, le financement de la Santé au travail n’est en adéquation ni avec ses besoins ni avec les exigences rappelées par la Cour des Comptes.

Rouvrir le dossier : une nécessité

Si cette dernière considère que « dans l’état actuel des textes, seule la cotisation per capita répond à la lettre de la loi », et que, de ce fait, « près de la moitié des services interentreprises se trouverait dans l’illégalité », elle ajoute que « pour autant, et bien que le non-respect de l’assiette de la cotisation entre dans le champ des motifs de refus possibles de l’agrément, il ne semble pas que des mesures aient été prises ou envisagées », et que « si dans la procédure ancienne, l’administration ne prenait pas connaissance de ce point, dès lors que les nouveaux dossiers prévus comporteront l’information, il serait opportun que soit les entorses à la loi, vraisemblablement fréquentes, soient sanctionnées, soit que la règle soit modifiée par le législateur ».

« Dans tous les cas », conclut-elle, « les partenaires sociaux auront à se prononcer », ce que, précisément, ils ont « omis » de faire dans le cadre des négociations sur la réforme de la Santé au travail, suivis en cela par les responsables politiques qui ont adopté la loi du 20 juillet 2011….

Il n’est pas inutile de rappeler à nouveau, comme le faisait d’ailleurs le Ministre dès 1980, que «  si les dispositions de l’article L. 241-1 du code du travail ont posé le principe d’une répartition des dépenses afférentes aux services médicaux du travail interentreprises entre les diverses entreprises adhérentes proportionnellement au nombre de salariés, elles n’ont rependant fixé ni les modalités de calcul des cotisations ni celles de leur répartition »…

Cela signifie que la lecture « littérale » de la Loi faite par l’Administration dans la Circulaire du 9 novembre 2012 n’est en réalité qu’une interprétation…

Tout reste donc à faire, et, fort heureusement, tout est encore possible…

Gabriel Paillereau
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2 Comments

Michel Blaizot

Si l’administration voulait imposer une cotisation per capita, pourquoi l’article D 4622-22 prévoit-il que le SSTI transmet à l’entreprise, au moment de l’adhésion, une grille des cotisations ?
Il ne paraît pas très cohérent de pousser à la fois à une diversification des prestations et à l’uniformisation des cotisations.

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